Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:29:20
Le premier voyage apostolique du Pape François en Afrique subsaharienne a représenté un événement de grande importance spirituelle pour des millions de chrétiens, mais aussi un moment de dialogue inter-culturel et interreligieux de portée fondamentale dans une région caractérisée par des conflits dont la dynamique est souvent centrée sur la religion.
Entre le 25 et le 30 novembre 2015, la mission pastorale du Saint Père dans le continent africain a concer-né trois pays de l’Afrique centrale et orientale : le Kenya, l’Ouganda et la République centrafricaine. Le choix est tombé sur trois réalités où les chrétiens représentent en moyenne 80 % de la population (plus précisément, les catholiques constituent environ 25 % de la population au Kenya, en Ouganda 40 % et en République centrafricaine presque 30 %). Il s’agit de pays qui manifestent, sous des formes différentes, les complexités et les problèmes qui caractérisent le continent africain, et la région subsaharienne en particulier. Cette région présente le taux de croissance démographique le plus élevé du monde : les Nations Unies estiment que les Africains, qui actuellement sont 1,1 milliard, pourraient atteindre les 2 milliards en 2100. Ici, plus de 50 % de la population a moins de 25 ans, un potentiel énorme en termes de perspectives de croissance. L’Afrique subsaharienne accueille en effet quelques-uns des pays qui croissent le plus en termes économiques, avec des taux su-périeurs à ceux de la Chine, de l’Inde et d’autres puissances émergentes. C’est donc une des régions les plus intéressantes pour les investissements économiques et les développements commerciaux, actuels et futurs, dans plusieurs secteurs de production, non seulement dans ceux qui sont liés aux matières premières.
Cependant,
cette région présente les taux de pauvreté les plus élevés du monde, aussi bien en termes absolus (sur les 20 pays les plus pauvres au monde en termes de PIB, 18 sont subsahariens) que de populations qui vivent sous le seuil de pauvreté. Dans la grande partie des pays subsahariens, l’accès aux ser-vices de base, comme santé, instruction, eau potable et électricité, n’est pas encore garanti à 40-50 % de la population. Et ceux qui accèdent aux services le font dans des formes pas toujours stables ni durables, du moins selon les paramètres des pays les plus développés.
L’Afrique subsaharienne met donc en évidence l’existence de grandes contradictions, où la disproportion entre les quelques riches et les nombreux pauvres devient toujours plus élevée, pas seulement entre les pays mais aussi en leur sein. Le
Kenya est un exemple emblématique : le développement vécu dans la capitale Nairobi avec les hôtels de luxe, les zones résidentielles, les centres commerciaux et la city financière, la fait ressembler à une “nouvelle Dubaï”, mais les périphéries, comme celle de Kigera, où vivent des centaines de milliers de personnes en situation d’extrême pauvreté, de chômage et d’exclusion, témoignent que la croissance économique et le développement ne vont pas de pair.
Le Kenya est aussi un des pays où les tensions politiques et sociales sont souvent caractérisées par
la référence au tribalisme et aux divisions linguistiques et culturelles. Cela se produit presque toujours à l’occasion des élections, où la compétition politique voit l’utilisation de l’élément ethnique comme un facteur d’opposition et d’affrontement. De ce point de vue, le pape François, au cours de sa première étape au Kenya, a rappelé plusieurs fois les fidèles, et en particulier les jeunes, à reconnaître les vraies valeurs humaines et sociales, dont le respect et la fidélité peuvent permettre la cohabitation pacifique et le déve-loppement juste et durable.
Les valeurs humaines ont été l’un des thèmes principaux de la deuxième étape du voyage du Pape en
Ouganda. En partant du souvenir des martyrs chrétiens de l’époque pré-coloniale, le Pape François a voulu souligner la manière dont la charité et le pardon doivent être mis à la base de la vie quotidienne et que seules les valeurs comme la fidélité, l’honnêteté et l’intégrité peuvent aider à créer les bases pour “coopérer avec les autres pour le bien commun et à construire une société plus juste, qui promeut la dignité humaine, sans exclure personne, qui défend la vie, don de Dieu, et protège les merveilles de la nature, la Création, notre maison commune”.
Sans aucun doute, la volonté du Saint-Père de visiter la
République centrafricaine fut l’un des emblèmes du voyage apostolique. Malgré les risques de sécurité considérables. La sienne et celle des milliers de fidèles accourus en sa présence, et les nombreuses invitations à annuler la visite (y compris celles prove-nant de la France, pays présent depuis 2013 en République centrafricaine avec un contingent militaire d’environ 900 unités suite aux violences armées entre les membres de factions politiques opposées, divisées entre chrétiens et musulmans),
le Pape François a voulu donner un signal de respect de l’autre et de fraternité entre ceux qui croient en Dieu, signal clair et sans équivoque. La visite à la mosquée de la capitale Bangui et la rencontre avec les autorités spirituelles islamiques (soulignée par l’invitation à monter sur la “Papamobile” adressée à l’imam par le Pape François) fut une occasion de témoigner de la valeur universelle de la prière.
Le Pape François, au cours des différentes rencontres publiques avec les communautés kenyanes, ougandaises et centrafricaines a adressé une série d’appels au dialogue, à la paix et à la rencontre, en soulignant à plus d’une occasion que l’affrontement entre les membres des différentes communautés religieuses et entre chrétiens et musulmans en particulier, a une origine politique, où
la religion est utilisée comme instrument pour fomenter les tensions et pousser à la haine et à la violence.
Avec simplicité mais avec une force et un caractère incisif extraordinaires, le Pape François a rappelé
qu’il n’y a pas de paix sans justice et pas de justice sans inclusion. Ce que tous les peuples ont en commun, de n’importe quelle ethnie, langue ou confession religieuse, c’est que “Dieu est paix, salam”.
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Aldo Pigoli est professeur d’Histoire de l’Afrique contemporaine à l’Université Catholique de Milan