Les racines du conflit qui a secoué le Liban sont bien plongées dans l’histoire des peuples, dans les mémoires et dans les politiques des dirigeants, dans les commentaires des textes sacrés et dans l’éducation

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:29:33

L’ambassadeur de la grande puissance qui nous parlait des frontières de Sykes-Picot et de la solidité de la carte géopolitique du Proche Orient dessinée en 1916 ne soupçonnait pas l’imminence du drame atroce de Paris, perpétré par un groupe qui ne donne aux frontières qu’une valeur bien insignifiante. Cette situation se reflétait dans les propos du ministre de l’Intérieur libanais Nouhad el-Machnouk qui affirmait hier que la double explosion à Bourj el-Brajneh n’est malheureusement pas la dernière du genre tellement les frontières sont devenues poreuses. Une chose est aujourd’hui certaine, l’attentat meurtrier dans le fief du Hezbollah n’est pas un simple message sporadique, mais un épisode d’une série macabre d’opérations terroristes que compte exécuter l’État Islamique, comme l’illustrent les données désormais disponibles aux mains des services de renseignements libanais. Peu importe les objectifs des actions de l’EI dans les localités du Hezbollah ou ailleurs : les frontières s’affaiblissent et deviennent bien virtuelles dans la mesure où la cassure entre sunnites et chiites ne cesse de se développer depuis l’avènement de la révolution panislamique de l’Ayatollah Khomeiny et qu’elle se transforme de jour en jour une faille énorme bien difficile à combler. Elle n’est plus politique mais profondément sociale. Lors des manifestations provoquées par les discours de Sayyid Hasan Nasrallah, fait nouveau, les slogans contre l’Arabie Saoudite sont devenus monnaie courante. Il est clair que ce sont les sunnites modérés qui font les frais de cette cassure, sachant que la baisse de la tension n’est pas pour demain tant que des foyers énormes de conflits au Yémen, en Syrie et en Irak et tant qu’une idéologie de fracture et d’anathématisation relayée par l’éducation et les médias ne cesse de se développer et devenir une littérature confirmant une autre. L’on dirait que nous sommes entrés dans un tunnel sans issue pour une vingtaine ou une trentaine d’années. L’entrée des pays occidentaux par les airs dans le conflit contre l’EI, bien installé dans la barbarie, mais s’appuyant sur un discours religieux que l’on retrouve dans les commentaires classiques autorisés, pourrait régler militairement le conflit, non sans des effets de déstabilisation sur l’Occident. Toutefois le problème demeure, dans ses fondements, bien ancré attendant l’éclosion d’une nouvelle critique de la mémoire et de des divers discours. Dans cette situation bien obscure, que devient le Monde arabe ? L’un des politiciens libanais les plus fins, ancien ministre des affaires étrangères, dans une conférence n’a pas hésité à dire que dans la cassure actuelle le monde arabe, politiquement et diplomatiquement, a cessé d’exister et a laissé la place à une monde d’états dont la plupart sont voués à la perdition et d’autres ne faisant que se protéger de la vague, soucieux de leurs intérêts les plus immédiats. Il est à l’image des poubelles de Beyrouth qui n’arrivent pas à être vidés à cause de la léthargie et de l’inefficacité des politiciens, leurs calculs individuels de protection de leurs intérêts. Ainsi, tant pour les régimes arabes que pour les politiciens libanais, les propositions de médiation et de négociation de solutions de conflits déterminés à l’image de la conférence de Vienne ne sont pas à dédaigner pour les dirigeants arabes ou libanais. Toutefois, dans notre monde, on aime bien gagner du temps par des déviations de nature diplomatique, car ce qui est recherché ce sont des victoires sur l’ennemi dans le cadre de la grande cassure. Durant ce temps, l’on continué à espérer et à attendre la manne des grandes puissances et de leurs représentants. La riposte aux exactions de l’EI se fait par une concentration des discours et de moyens militaires, qui a été encore illustrée par le président François Hollande le lundi 16 novembre devant le Congrès rassemblé à Versailles. Elle est acceptable compte tenu de la menace à court comme à moyen terme que la dictature djihadiste fait peser sur le Proche-Orient, mais au vu des derniers drames, ce poids touche d’une manière forte les pays occidentaux comme certains bons observateurs libanais et proche-orientaux n’ont cessé de le souligner. Le « cancer » qu’il représente, selon l’image employée par le président des États-Unis, Barack Obama, est une forme agressive qui multiplie ses métastases dans les pays limitrophes. Sa capacité de projection ne cesse de gagner en vigueur que ce soit par le système des « franchises » inaugurées par al-Qaida, désormais sur la totalité d’un arc africain et jusqu’en Afghanistan, par son pouvoir d’endoctrinement de « loups solitaires », par sa capacité de recrutement. Il est évident que ce ne sont pas les discours les plus virulents ni les frappes aériennes les plus massives qui vont régler les conflits, surtout que certains discours sont marqués par leur généralité et par leur « naïveté » pensant qu’en neutralisant militairement l’EI tout sera réglé. Les racines des conflits sont bien plus plongées dans l’histoire des peuples, dans les mémoires et dans les politiques des dirigeants, dans les commentaires des textes sacrés et dans l’éducation telle qu’elle se pratique, et au-delà dans les pratiques historiques bien répréhensibles des dictatures.