Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:39:37

Lire toute la Bible sans interruptions, jour et nuit, du premier verset de la Genèse jusqu’à l’invocation finale de l’Apocalypse. Voilà l’idée simple et suggestive de Bible en continu, une initiative créée en 2005 à Limoges et proposée au fil des ans dans plusieurs villes françaises et italiennes (Mantoue, Bologne, Rome – à l’occasion du Synode sur la Parole de Dieu – et Udine). Du 14 au 20 avril, c’était au tour deVe nise, dans l’église de Saint Pantaleon. L’initiative, promue par le Conseil local des Églises lors du XX anniversaire de sa constitution, était pensée comme l’occasion de vivre en termes œcuméniques l’année de la Foi pour le cinquantième anniversaire du Concile Vatican II. L’Écriture, en effet, même dans la variété de ses interprétations, constitue un patrimoine de valeur inestimable, commun à toutes les confessions chrétiennes. L’origine de cette initiative est déjà intéressante en soi : en effet, elle n’est pas née sur le papier, mais durant un échange entre deux leçons. En 2004, une enseignante d’anglais de Limoges entend un collègue allemand raconter son expérience d’une lecture partielle de la Bible dans un lieu fortement symbolique, la Cathédrale de Nuremberg, théâtre au XV siècle d’un des premiers pogrom antisémite. Et, à partir de là, elle conçoit l’idée d’une lecture ininterrompue de l’Écriture : les bases de la Bible en continu étaient jetées, « une idée magnifique, un projet fou, un acte véritable » comme le dit le site. L’initiative dépasse les individus qui la composent, mais elle ne peut pas continuer sans eux. Lorsqu’on a fini de lire, on va travailler ou on rentre chez soi, mais on ne peut pas s’empêcher de penser à ceux qui en ce moment prêtent leur voix (peut-être au milieu de la nuit) afin que l’histoire puisse continuer jusqu’à s’approcher de la grandiose scène finale de la Jérusalem céleste. Dans ce sens, la lecture en continu propose en quelque sorte un paradigme de la vie : même les moments les plus difficiles, les chapitres les plus durs et les plus sombres (le livre des Lamentations ou les oracles contre Jérusalem), ne sont pas des fins en soi, mais ils trouvent un sens dans un dessein plus grand. Il y a aussi une dimension littérale qui n’est pas indifférente : en effet, l’Ancien Testament est écrit selon les principes de la rhétorique sémite, différents des occidentaux, et cela constitue souvent un obstacle pour apprécier correctement les textes. Laisser parler l’auteur sacré pendant plusieurs chapitres permet alors de s’abandonner à un rythme et un style différent de celui des greco-latins sur lequel est modelée notre rhétorique, mais qui ne sont pas pour autant moins vrais. En effet, la Bible est comme un fruit avec une écorce éclatante et brillante, mais à la moelle très douce, disait le grand traducteur Saint Jérôme, qui avait entendu pendant son sommeil une voix lui reprocher ses goûts littéraires : Ciceronianus es, non Christianus, tu es cicéronien et non pas chrétien. Naturellement, une initiative de ce genre impose aux lecteurs de se préparer pour avoir une idée suffisamment précise du chapitre ou des chapitres qui leur a été attribué : c’est donc une occasion de réflexion. Mais surtout cela exige d’unir ses forces. À Venise, par exemple, aucun groupe ne possédait les forces nécessaires pour accomplir ce projet : la réalité a donc imposé elle-même de collaborer. Ce fait semble être de grande importance pour un œcuménisme vécu qui essaye de valoriser ce qu’on a en commun non pas à partir d’un projet abstrait mais d’une nécessité concrète. C’est ce que disait, dans un autre contexte et en d’autres termes, le Patriarche d’Alexandrie des Coptes, Tawadros II, dans un entretien récent accordé à Oasis : « Au Moyen-Orient nous sommes près de trois cent millions d’habitants, dont les chrétiens ne représentent que 5 %. Voilà pourquoi notre voix chrétienne doit s’élever comme une seule voix ». C’est la réalité elle-même, et non pas une stratégie qui l’exige. L’œcuménisme pratique de la Bible en continu s’est exprimé aussi matériellement dans les différentes langues dans lesquelles a été proclamée l’Écriture : l’hébreu, le grec, le russe mais aussi l’arabe et le turc. La lecture du premier chapitre de la Genèse par le Rabbin de Venise, sur la place devant l’église, a ajouté aussi une dimension interreligieuse et quelques non-croyants ont également accepté de se mesurer au texte, conscients de sa valeur culturelle énorme. Au terme de cette expérience, et la pensée fixée sur les communautés chrétiennes dans les pays à majorité musulmane, chose naturelle pour Oasis, la question surgit spontanément : quand la Bible en continu aura-t-elle lieu au Moyen-Orient ? Le moment est arrivé.