Histoire d'une idée politique que domine depuis quatorze siècles l'imaginaire islamique

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:59:09

Caliphate, the history of an ideaCompte rendu de Hugh Kennedy, Caliphate. The History of an Idea, Basic Books, New York 2016

 

S’il est une idée politique forte qui domine depuis quatorze siècles l’histoire islamique, c’est bien celle du califat.

 

On a combattu en son nom, tué en son nom, comme en témoignent l’histoire de l’assassinat du troisième calife ‘Uthmân, le meurtre de Husayn et les violences aujourd’hui commises par l’État islamique ; en son nom on a versé des fleuves d’encre – des traités de Mâwardî (m. 1058), Juwaynî (m. 1085) et Ghazâlî (m. 1111), premiers théoriciens de cette notion, aux dissertations de nos contemporains. Il y a eu des temps de l’histoire où cette idée de gouvernement a marqué en profondeur l’organisation de la communauté musulmane, et des temps où elle s’est avérée presque sans incidence. Au XXe siècle, après la dissolution du califat ottoman (1924) et avec la naissance de mouvements islamistes et djihadistes, l’idée est de retour au premier plan.

 

Caliphate. The History of an Idea, de Hugh Kennedy, professeur d’arabe à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres, examine l’évolution historique de cette notion, et l’usage et l’abus que l’on en a fait au cours des siècles. Partant des quatre premiers califes « bien guidés », Kennedy retrace les temps forts du califat omeyyade et abbaside, consacre un chapitre aux califes fatimides en Tunisie et en Égypte, examine le sultanat ottoman et conclut par une réflexion sur l’appropriation indue de cette notion de la part de l’État islamique.

 

L’objet du volume est d’éradiquer l’idée, plutôt répandue, que le califat est une institution dont les fondements sont évidents, et qui est restée immuable à travers les siècles, en faisant voir clairement au contraire que cette forme de gouvernement a subi à plusieurs reprises des ajustements dictés par les circonstances historiques. Il suffit de penser au débat qui a suivi la mort de Muhammad pour savoir qui devait diriger la oumma et de quelles prérogatives il devait être investi. Pour les uns, le calife devait appartenir simplement à la tribu des Quraysh (il pouvait donc être aussi un omeyyade), pour les autres, le calife devait être un membre des Banû Hâshim, le clan du Prophète, d’autres encore, les kharijites, estimaient que tous les musulmans mâles pouvaient être des candidats potentiels. Il y avait aussi ceux qui affirmaient que le califat était héréditaire, et ceux qui au contraire admettaient la désignation directe (nass) du successeur.

 

Toutes ces options, explique Kennedy, débouchaient sur toute une série d’autres considérations. La succession héréditaire posait le problème d’établir quelle branche de la famille de Muhammad pouvait accéder à la fonction, ainsi que la question du droit d’aînesse, et impliquait potentiellement l’infaillibilité du calife qui, en tant que tel, pouvait interpréter ou aller jusqu’à modifier le Coran et la Sounna (vision chiite). Si au contraire le calife était nommé par les hommes, il ne pouvait être considéré comme infaillible, et c’est la raison pour laquelle, chez les sunnites, l’interprétation du Coran et de la charia allait devenir, à partir du Xe siècle, une prérogative des oulémas et des juristes, au lieu du calife.

 

Pendant les quatre premiers siècles surtout, on ne suivit pas de méthode précise et univoque : le premier calife, Abû Bakr, ne faisait pas partie de la famille de Muhammad et fut élu par un groupe restreint de musulmans dont ‘Alî était resté exclu ; ‘Umar, son successeur, fut nommé personnellement par Abû Bakr, tandis que ‘Uthmân fut élu par un conseil voulu par ‘Umar et formé de six hommes dont ‘Alî. Ce dernier en revanche devint quatrième calife sans recevoir d’investiture formelle et dut conquérir sa charge sur le terrain dans la célèbre bataille du Chameau. Ceci confirme – conclut l’auteur – que les tentatives actuelles de restaurer le califat en s’inspirant de la tradition sont arbitraires parce que l’histoire islamique a produit des califats très différents entre eux, et non réductibles à un modèle unique.

 

Pensé pour un lecteur non spécialiste, l’ouvrage de Kennedy est un instrument indispensable pour connaître l’évolution historique de cette institution, saisir le poids qu’elle a eu dans la formation de la culture politique islamique et ses répercussions au temps présent. L’institution califale, de fait, ne peut être comprise hors du contexte historique dans lequel elle a été modelée.

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Chiara Pellegrino, « Les métamorphoses du califat », Oasis, année XIII, n. 25, juillet 2017, pp. 130-131.

 

Référence électronique:

Chiara Pellegrino, « Les métamorphoses du califat », Oasis [En ligne], mis en ligne le 29 août 2018, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/les-metamorphoses-du-califat.

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