Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:44:17

Rodney Stark est un des plus importants sociologues de la religion vivants. Après avoir enseigné pendant trente-deux ans à l’Université de Washington, il s’est transféré depuis 2004à l’Université de Baylor. En partant du présupposé de la théorie de la décision rationnelle, il a consacré de nombreuses et importantes études au rapport entre sociétés, cultures et religions, déjà à partir de la moitié des années soixante. Ces dernières années, il s’est occupé du rôle des religions et particulièrement du Christianisme dans le développement des civilisations. L’ouvrage La découverte de Dieu. L’origine des grandes religions et l’évolution de la foi constitue une espèce de somme de ses récentes études et offre une grand fresque comparative, et très ambitieuse. En conclusion, l’étude de Stark est « une étude tant de l’évolution des images humaines de Dieu, que de l’évolution de la capacité humaine à comprendre Dieu » (p. 14). Les thèses de fond sont au nombre de deux : en premier lieu, les êtres humains adoptent et conservent l’origine de Dieu jugée la meilleure en termes d’utilité, définie en ligne maximale comme l’ensemble d’assouvissements intellectuels, émotifs et artistiques, mais aussi pratiques et matériels ; en second lieu, il est possible de distinguer à travers une argumentation rationnelle une religion inspirée d’une religion non inspirée. Les six premiers chapitres du livre traitent de la naissance, du développement et de la signification des religions pré-chrétiennes. Stark montre, dans le sillage des études de l’anthropologue Andrew Lang, que la majorité des cultures primitives avaient des notions de la Divinité Suprême et une vision de la création beaucoup plus sophistiquée que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Il s’interroge ensuite sur l’ascèse et l’influence des religions dans les premières civilisations – sumériens, égyptiens, grecs et peuples mésopotamiens – caractérisées par un polythéisme sacerdotal dans lequel les Dieux suprêmes ont laissé la place aux idoles de nature en fin de compte anthropomorphique. Une conception monothéiste de Dieu est ébauchée dans la religion égyptienne (avec le pharaon Akhénaton) et dans le zoroastrisme, mais elle s’affirmera de manière définitive seulement dans le judaïsme. Une grande attention est aussi accordée à l’ascèse par les religions orientales : l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme, le confucianisme et le taoïsme. Stark passe ensuite à l’analyse de l’avènement du christianisme en soutenant qu’il a représenté une sorte d’humanisation de la conception juive de Dieu. En ce qui concerne l’Islam, selon Stark, il fait redevenir d’actualité les connaissances et les modalités de rapport avec Dieu précédentes aux deux autres religions monothéistes. En tirant les conclusions de sa très longue analyse (développée en plus de six cents pages), et en présupposant l’existence de Dieu, Stark se demande si toutes les religions ont contribué à sa découverte : la réponse est non. Une telle conviction serait justifiée par trois critères, parmi lesquels séparer les religions qui reflètent une inspiration divine effective (et qui donc accroissent notre connaissance de Dieu) de celles qui ne semblent vraiment pas inspirées. Le premier critère consiste dans le fait que Dieu se révèle, parce que s’il n’en était pas ainsi, toutes les croyances seraient simplement humaines, et il y aurait donc peu matière à discuter. Le deuxième critère est la cohérence : il n’est pas plausible de présumer que les révélations de Dieu soient complètement contradictoires, et donc les religions qui s’éloignent trop d’un noyau cohérent peuvent être considérées comme religions d’origine humaine. Le troisième critère est la complexité progressive : disposées selon l’ordre d’apparition, les religions inspirées devraient révéler une compréhension de Dieu toujours plus sophistiquée et complexe. En appliquant ces critères à toutes les religions abordées dans le livre, et procédant par exclusion, Stark arrive à affirmer sur une base rationnelle que peut-être on peut parler d’une certaine forme de révélation pour la religion des Dieux Suprêmes des premières sociétés humaines, et certainement on peut en parler en référence au monothéisme juif et au christianisme. Le livre de Stark pose de nombreuses interrogations dont restent peut-être sans réponse ; cependant, on ne peut nier qu’il constitue une tentative stimulante d’étudier de façon comparative les religions loin de la matrice athéiste (qui, paradoxalement, caractérise de nombreux chercheurs de ce domaine) et relativiste. Le présupposé selon lequel la comparaison entre cultures (et religions) peut être conduite sur le terrain de la rationalité est sans doute un défi à accueillir. Paolo Terenzi