La lettre passionnée d’un prêtre milanais à Monsef, un jeune parti pour combattre le djihad en Syrie

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:56:59

In viaggio verso Allah.jpgCompte-rendu de Claudio Burgio, In viaggio verso Allah, Lettera di un prete a Monsef, giovane combattente islamico, Paoline, Milano 2017 (« En marche vers Allah, lettre d’un prêtre à Monsef, jeune combattant islamique »)

 

Parler de lettre est vraiment réductif : flux de conscience, confessions intimes, expériences et sentiments profonds s’entrecroisent en harmonie avec des analyses lucides sur le phénomène djihadiste européen et sur le sens que revêt le devoir d’éduquer au religieusement autre. C’est un prêtre du diocèse de Milan qui l’écrit, le père Claudio Burgio, fondateur de l’Association Kayròs qui gère des communautés d’accueil. Le destinataire en est Monsef, un marocain de 21 ans, accueilli en 2010 alors qu’il n’avait que 15 ans, et resté dans la communauté jusqu’au 17 janvier 2015. Ce jour-là, Monsef, avec son ami Tarek, a pris l’avion pour la Syrie : il devenait le plus jeune djihadiste parti d’Italie.

 

Deux ans plus tard, le père Claudio ressent le besoin de lui écrire, rappelant leur rapport dans la communauté et la période qui a suivi : le prêtre confesse son incrédulité, un éducateur qui ne sait s’expliquer le choix de « son garçon » ; un prêtre qui ne comprend pas comment il peut être considéré comme un « infidèle » par ce fils prodigue dont il attend le retour. C’est une lettre qu’il doit à Monsef, donc, pour lui faire savoir qu’il ne veut pas l’oublier ; mais c’est aussi une lettre qu’il se doit à lui-même, à ses peurs, incompréhensions et douleurs pour une telle perte; enfin, un message pour les autres jeunes musulmans de sa communauté, qui eux ne sont pas partis. Une lettre écrite par quelqu’un qui « croit avec obstination au Bien » et est convaincu que chaque homme est « un mystère qui demande uniquement à être accueilli et aimé ».

 

L’histoire de Monsef, retracée avec délicatesse dans ses détails quotidiens, offre le profil récurrent du foreign fighter : le prêtre y voit la confirmation que « la liberté ne peut naître du désordre » ; que c’est de la « dissolution du principe d’autorité » que surgit la recherche d’une normativité rigoriste ; que la déculturation religieuse entraîne le fondamentalisme ; et qu’il ne s’agit pas d’un affrontement de civilisations, mais d’incivilités.

Les épisodes vécus alternent avec de nombreuses intuitions profondes : les réflexions sur le langage de Monsef, sur le rapport avec l’autorité et l’altérité, sur le rôle de l’éducation scolaire; sur l’appauvrissement spirituel de l’Occident, sur l’aplatissement de toute complexité ou les distorsions dans le débat médiatique, sur l’intégration sociale des jeunes, sur la responsabilité de croire et d’accueillir l’autre; sur les limites d’une réponse qui relèverait de l’assistanat ou du tout sécurité ; sur la vulnérabilité ontologique de l’homme; sur le fait de témoigner sa foi et sur le prosélytisme; sur le sens du paradis et sur la vie éternelle.

 

Ce qui frappe, ce sont les effets thérapeutiques évidents de l’altérité. Le livre offre la parabole – toute intérieure – du prêtre lui-même, qui le porte à donner un sens nouveau à l’autre, à Monsef. Le prêtre avoue, au début de la lettre, qu’il se sent comme « Pierre au moment de l’arrestation et de la mise en croix du Christ, impuissant face au Mal, prêt à renier », à nier qu’il connaît Monsef. Il a devant lui la faillite d’une éducation, il est criblé de peurs (réelles) comme une attaque contre sa personne, contre ses collègues ou la cathédrale de Milan où il célèbre la messe. Il renie l’autre. Mais lentement, l’expérience dialogique le transperce :

 

« Cher Monsef, je ne crains pas la culture de tes origines, parce que je sais que Dieu me parle à travers le monde qui m’entoure, donc, aussi, à travers le drame de ton histoire. Je sais qu’il y a un mystère encore à comprendre dans le cri des exclus de l’histoire. Un cri, comme celui d’Ismaël, que l’Église dans laquelle je vis ne peut pas ne pas reconnaître et accueillir. Un cri, comme celui de ta voix tandis que tu combats, qui a pourtant toujours à voir avec l’histoire du salut ».

 

Guidé par la prudence, don Claudio retrouve en Monsef « l’autre comme un extraordinaire patrimoine d’humanité », renversant ainsi la perspective : seul l’amour transforme, de même que ce n’est qu’en se reconnaissant en Judas qu’il sera possible d’être pardonné. Monsef devient alors l’occasion pour aller au-delà de nos propres peurs et revenir fixer notre regard sur Jésus.

 

« Rien ne sera perdu, ni même notre relation […] nous nous appartiendrons pour l’éternité […] Monsef, tu es ma grande occasion. C’est précisément ton désespoir et ton histoire d’une vie maltraitée, exclue, dépouillée de toute dignité, qui feront de toi mon juge ».

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