Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:52:11

Auteur: Jean-Loup Amselle Titre: Logiques métisses. Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs Editeur: Payot & Rivages, Paris 1990 Le modèle de société ouverte à de multiples cultures qui remporte encore un large succès dans plusieurs états européens et le racisme xénophobe qui s'est manifesté dans ces mêmes pays ont-ils quelque chose en commun? Jean-Loup Amselle soutient que oui: les deux positions, apparemment opposées présupposent des identités d'origine fixes et immuables, des univers incommunicables et dotés de lois propres. Amselle donne de nombreux exemples de cette obsession quant à la définition d'ethnies et de cultures «d'origine» à partir de son expérience sur le terrain comme ethnologue au Mali. Un grand nombre d'œuvres pondéreuses d'hommes de science et de rapports secs d'administrateurs coloniaux frôlent souvent le comique dans leur recherche infatigable d'ethnies cartésiennes «claires et distinctes». D'où la dichotomie entre paganisme et Islam, sociétés liées à un état et sociétés segmentaires, d'où les insaisissables peul et la mystérieuse religion bambara. Ce sont là les produits de cette approche ethnique que les Africains eux-mêmes ont adoptée et qu'Amselle rejette comme cause des conflits modernes. Par quoi va-t-on la remplacer? Amselle avance l'hypothèse d'un syncrétisme d'origine entre groupes produit par des rapports de force, subits ou négociés. Les logiques métisses, justement. «C'est parce que j'ai besoin de créer des classifications et des typologies que des éléments à classer me sont nécessaires et si je peux légitimement les extraire de leur contexte, c'est parce que, depuis le début, j'ai nié que de tels éléments constituent des unités politiques situées dans un continuum socioculturel». «L'identité est relative: on est païens, premiers occupants ou bambara par rapport à des musulmans ou à des conquérants malinke». Et, se référant à la France, il affirme: «il n'existe pas de "Français de race" parce que tous les Français sont déjà métissés». Bien que l'essai soit brillant et bien argumenté sous divers aspects et qu'il ait pour le lecteur européen le mérite de l'introduire dans une réalité en général méconnue telle que l'Afrique occidentale, plusieurs éléments laissent perplexes: le genre d'exemples, d'abord, tous tirés d'une région qui est depuis toujours terre de rencontres et de migrations par excellence. Le raisonnement tenu serait-il aussi valable si on l'appliquait à d'autres régions de la planète? Ensuite l'auteur attribue la tentation qui amène à l'essentialisme uniquement à la modernité. Tandis qu'ils étaient en train de se mélanger avec les autres peuples de la Méditerranée, les Romains construisaient le mos maiorum, d'autant plus célébré qu'il était irréalisable; alors que les Arabes s'emparaient du Moyen-Orient en se mélangeant à tous les peuples conquis, leurs poètes et leurs philologues ne cessaient pas d'idéaliser la vie dans le désert faisant des tribus bédouines un reliquaire vivant. Ce n'est pas seulement la modernité qui a recherché des identités fortes: plutôt que de les liquider comme étant anti-historiques, celles-ci devraient être considérées comme un élément originaire du métissage. Tout comme le syncrétisme. Mais il y a une autre objection fondamentale. Pour Amselle tout ce que l'homme exprime est déterminé par la politique. Prenons la religion: «Il suffit de faire l'inventaire de la superposition des formations politiques existantes dans la région pour définir les pratiques mythiques rituelles correspondantes». Ou bien la personne: «La notion de personne est négociée de façon permanente et constitue l'enjeu entre groupes situés à l'intérieur d'une même unité politique et entre unités politiques voisines». La liberté identitaire qu'Amselle souhaite à la fin des fins semble être fixée de façon déterminée par les conditions sociales. Et toutefois une réédition de la vieille dialectique structure superstructure ne semble pas être l'instrument le mieux adapté pour dépasser l'incommensurabilité des cultures. Un moi réduit une fois de plus à une résultante de pressions économiques et sociales, de quelle liberté pourra-t-il disposer? Et quels principes pourra-t-il invoquer pour fonder les droits humains et civils, personnels et universels?