Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:44:17

Constantinople vient de tomber aux mains des Turcs. La chrétienté se prépare à résister. Le Cardinal allemand Nicolas de Cues (1401 – 1463) estime que cela ne suffit pas. Au-delà de la guerre de religions, il faut préparer la « paix de la foi ». Il s’interroge sur les conditions intellectuelles de la paix entre les religions et entre ce qu’aujourd’hui on appelle civilisations. Cues s’inscrit dans une tradition irénique, allant d’Abélard, Roger Bacon et Raymond Lulle à Pic de la Mirandole ou Thomas More, notamment. Cues ne veut pas sacrifier la vérité sur l’autel de la politique, comme font les pouvoirs temporels, causes principales d’une mauvaise diversité, aussi bien que d’une mauvaise unité, en matière religieuse. Ils ajustent la vie spirituelle à leurs hypothèses utilitaristes et pragmatiques, dont la validité politique resterait d’ailleurs à démontrer. Cues ne partage pas non plus l’irénisme moralisant, qui tend à se contenter de bons sentiments et dont l’effectivité reste à peu près nulle, faute de prendre en compte la profondeur réelle du problème du mal. La forme littéraire est celle d’un dialogue dans le Ciel. Cues rêve d’unir les religions dans un congrès universel à Jérusalem, dont les grandes lignes auraient été discutées au Ciel dans un conclave présidé par le Verbe de Dieu, et dont Cues a eu connaissance dans une vision. Dans sa méthode pour unir les religions, trois directions. Une première, plus théologique, tend à affirmer que toutes les religions disent implicitement la même chose que le christianisme, quand elles sont correctement expliquées. Une seconde, plus mystico-philosophique, tend à relativiser toutes les religions par rapport à une seule religion philosophico-mystique, dont le contenu serait transcendant à toutes les dogmatiques, parce que tout finit par se résorber dans l’Unité ineffable, qui est le dernier mot de la métaphysique cusaine ; mais cette religion serait le christianisme authentique. Une troisième se sert du polyritisme comme d’un modèle pour penser l’unité religieuse. « Ce sera la fin de la haine […] et tous connaîtrons qu’il n’y a qu’une seule religion dans la diversité des rites. » Le système de Maître Eckhart se trouve derrière cette entreprise. « La pensée de Nicolas est avant tout métaphysique. Elle repose sur son hénologie. » (pp. 46-47). Sa méthode de discussion consiste à expliquer les dogmes de façon orthodoxe, pense-t-il, et de telle sorte que le non chrétien de bonne foi ne pourrait que se reconnaître dans la doctrine chrétienne. Réciproquement, il estime que, en s’approfondissant, les autres religions se rapprocheraient du Christ qui a dit qu’il était la Vérité. Il présuppose un certain agnosticisme, de sorte que tout le monde est comme ramené au même point, celui d’une « approximation qui n’atteindra jamais son terme : l’Un divin demeure l’insaisissable » (p.54). D’un côté, Cues réduit sans doute trop les autres formes religieuses à l’unité de la foi chrétienne, de l’autre il appauvrit celle-ci en en estompant rites, sacrements et institutions. Dans le De pace fidei, il n’est pas question de l’Eglise. Cues place l’essentiel dans un pur spirituel qui consisterait d’abord dans une entrée mystique dans le néant et l’ineffable, dans une sorte de réintégration dans l’Un. Ainsi, pour l’essentiel, tout le monde est censé se trouver d’accord. Mais le danger est que Cues et ses disciples se retrouvent seuls d’accord avec eux-mêmes à l’écart des autres croyants, dont peu reconnaîtront la réalité de leur vie religieuse dans la sophistication de ces dialectiques échevelées. La logique de la réintégration dans l’Un est censée conduire à poser comme nécessaires les articles de la dogmatique chrétienne. Cette dogmatique, en tant que prise comme une philosophie religieuse, serait implicitement dans toutes les religions. Sans doute, pour Cues, Jésus-Christ en chair et en os existe historiquement bel et bien, mais on a quand même l’impression que Jésus tend à n’être qu’un moment nécessaire d’un système où l’Histoire se tire du Concept comme le lapin du chapeau. Le Christ étant surtout la Vérité absolue, objet de tous les philosophes, les chrétiens ont en propre la foi explicite dans le Christ historique, les autres ayant cette foi de façon implicite, de sorte qu’il leur suffit de s’expliciter pour rejoindre la foi chrétienne. Henri Hude