Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:52:36

Vers la fin du XVIIIe siècle, John Jay, l'un des Pères Fondateurs américains, déclarait sur The Federalist Papers que: «La Providence s'est félicitée d'avoir donné ce pays homogène à un peuple uni - un peuple qui descend des mêmes ancêtres, qui parle la même langue et professe la même religion, attaché aux mêmes principes de gouvernement» (1). Aux Etats-Unis, le recensement de 1790 démontra qu'en excluant environ 700 mille esclaves et les tribus autochtones (indiens américains), la population des Usa, qui totalisait alors 3.929.000 habitants, était composée de 80% de personnes d'origine britannique et presque 100% de religion chrétienne. Toutefois, un peu moins d'un siècle plus tard, le grand romancier américain Herman Melville écrivait en parlant de l'Amérique: «Peuplée de gens originaires de toutes nations, toutes les nations peuvent la réclamer comme la leur...Notre sang est comme la Rivière Amazone, formé d'un millier de nobles courants, tous se déversant en un unique fleuve. Plus qu'une nation, nous sommes un monde». Melville illustrait le fait que déjà, à son époque, l'Amérique était une nation d'immigrés. Entre 1820 et 2000, environ 66 millions d'immigrés ont rejoint l'Amérique. Plus de 50% de la population actuelle est liée à l'immigration (2). Selon le bureau du recensement, la population totale résidente aux Etats-Unis a dépassé 288 millions en 2002. Ce chiffre regroupe 196 millions de blancs, presque 39 millions d'hispaniques, environ 37 millions de noirs, 12 millions d'asiatiques, à peu près 3 millions d'indiens américains et 4 millions de personnes de deux ou plusieurs races. La population hispanique et asiatique augmente beaucoup plus rapidement que la population totale. Les hispaniques augmentent presque quatre fois plus vite que la moyenne et les asiatiques presque deux fois plus vite que la croissance nationale. Ces tendances ont entraîné des transformations importantes au niveau de la langue aux Etats-Unis. A part l'anglais, le chinois est avec l'espagnol, la langue la plus diffusée. En troisième et quatrième position, on trouve le français et l'allemand, le tagalog (3) en cinquième position, le vietnamien en sixième; l'italien et le coréen se situent en septième et huitième position. Presque un quart des 140 millions d'immigrés dans le monde résident aux Etats-Unis, constituant ainsi plus d'un dixième des personnes qui vivent aux Etats-Unis (4). La question de Toqueville Malgré les différences raciales, ethniques et religieuses au sein de la population, c'est un pays qui "marche" grâce aux principes intégrés dans la Constitution fondatrice. En visitant les Etats-Unis au XIXe siècle, l'écrivain français Alexis de Tocqueville se demandait: «Comment se fait-il qu'aux États-Unis, pays où les habitants sont immigrés depuis peu [...] et où, finalement, l'amour instinctif pour la patrie ne devrait pas exister; comment se fait-il que chacun s'intéresse aux affaires de sa propre ville ou comté ou à l'état tout entier comme s'il s'agissait des siens? C'est parce que chacun, dans sa sphère, participe activement au gouvernement de la société» (5). Tocqueville affirma que: «les immigrés et leurs enfants perçurent les États-Unis comme leur propre patrie et s'y attachèrent à travers l'exercice des droits civils. La liberté, dont jouissent les américains, de culte, d'expression, de rassemblement et de recours contre le gouvernement, et la protection sous des lois égales pour tous [...] les lièrent en une communauté nationale, même si souvent leurs intérêts politiques divergeaient» (6). Bien que plus de la moitié de la population des Etats-Unis soit aujourd'hui composée d'immigrés ou de descendants d'immigrés, sa croissance extraordinaire s'explique par d'autres facteurs. L'achat de la Louisiane en 1803 doubla la surface des Etats-Unis. De vastes territoires furent acquis à la suite d'une série de guerres contre les indiens, qui obtinrent finalement la nationalité américaine en 1924. Le Traité de Guadalupe Hidalgo de 1848 mit fin à la guerre contre le Mexique et la fédération obtint les territoires qui plus tard devinrent les Etats de Californie, New Mexico, Nevada, Colorado, Arizona et Utah. Le Texas fit partie des Usa en 1845 après la Guerre d'Indépendance du Mexique. Enfin, de nombreux africains furent envoyés aux États-Unis pour le commerce des esclaves. La neutralité du Premier Amendement L'expérience des Indiens, de bon nombre de mexicains et d'afro-américains se différencie de celle qui a été vécue par les immigrés en Amérique par le fait que leur insertion dans la société américaine fut le plus souvent forcée; la longue histoire des efforts que fit chaque groupe pour acquérir des droits civils est trop complexe pour en discuter à ce stade. Mais il faut néanmoins rappeler certains résultats obtenus par les Afro-américains à la suite du Civil Rights Act de 1964 qui interdit la discrimination raciale. Quand la mesure fut approuvée, le taux de pauvreté des Afro-américains atteignait 42%. Aujourd'hui, il a diminué de moitié. Quand la mesure fut approuvée, un quart seulement des afro-américains avait suivi des études supérieures; aujourd'hui 80% d'entre eux obtiennent un diplôme universitaire. Le premier Amendement de la Constitution américaine établit que le gouvernement «ne fera aucune loi visant à favoriser une religion ou en interdire la libre pratique». La lettre de la norme exige la neutralité du gouvernement envers les diverses religions. Le gouvernement américain doit agir de façon à poursuivre des objectifs séculiers et demeurer neutre du point de vue religieux. Si une loi est contestée parce qu'elle favorise la création d'une religion officielle, le gouvernement doit démontrer que son action (1) avait un but séculier, (2) qu'elle a eu principalement un effet séculier et (3) qu'elle n'a pas impliqué le gouvernement dans un rapport trop étroit avec la religion. A propos du libre exercice de la religion, la Cour Suprême des États-Unis a établi que le gouvernement peut réguler les actions de chacun, même quand celles-ci sont motivées par des croyances ou des convictions religieuses, sans violer la protection constitutionnelle de la liberté de religion si l'action est neutre du point de vue religieux et promeut d'importants intérêts sociaux. Ce principe de neutralité du gouvernement envers la religion peut être vu comme une forme d'hostilité envers la religion, en faveur de l'athéisme. Toutefois, il y a plus de 40 ans, une interprétation meilleure fut suggérée: «l'attachement au concept de neutralité peut conduire non seulement à la non-interférence et la non-implication avec la religion qu'exige la Constitution, mais aussi à une [...] dévotion envers ce qui est séculier et à une hostilité passive voire active envers le religieux. De tels résultats non seulement ne sont pas imposés par la Constitution, mais au contraire [...] interdits par celle-ci» (7). Les dispositions de la Constitution des Etats-Unis qui reconnaissent le droit à la liberté religieuse et à la diversité ont été fondamentales du point de vue historique, pour incorporer de nombreuses minorités dans la société américaine et leur permettre d'y participer pleinement en tant que citoyens. Ce que Tocqueville écrivit est toujours vrai: «Aux Etats-Unis, la religion est étroitement liée aux us et coutumes de la nation». Un récent sondage Gallup a démontré que 75% des Américains considère la religion importante ou très importante et moins de 10% la considère sans importance. Cela correspond à ce que Robert Bellah observa en 1960 à propos de l'existence d'une sorte de religion civile en Amérique vue comme une «compréhension naturelle de la réalité religieuse universelle et transcendante comme elle se reflète [...] dans l'expérience du peuple américain» (8). Les américains ont à cœur la liberté religieuse non pas parce qu'ils sont généralement moins religieux, mais parce qu'ils ont beaucoup d'estime pour les convictions religieuses.
(1) Cité dans: S. HUNTINGTON, Who are we?, Simon & Schuster, New York 2004, 44; Qui sommes nous? Identité nationale et choc des cultures Odile Jacob, 11/2004. (2) Ibid., 45. (3) Un des principaux idiomes parlés aux Philippines [n.d.t.] (4) Z. BRZEZINSKI, The Choice, Basic Books, New York 2004, 164; Le vrai choix: l'Amérique et le reste du monde, Odile Jacob, 2004. (5) ALEXIS DE TOCQUEVILLE, Democracy in America, Vintage Books, New York 1945, 251; De la démocratie en Amérique Gallimard, 05/1992. (6) L. FUCHS, The American Kaleidoscope, University Press of New England, Hanover 1990, 3. (7) School District of Abington Township v. Schempp, 374 U.S. 203 (1963) (Golberg J., concurring). (8) R. BELLAH, Varieties of Civil Religion, Harper & Row, San Francisco 1980, 17.