Phillip Blond and Adrian Pabst

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:44:34

L'Archevêque de Canterbury le Révérend Rowan Williams, chef titulaire de l'église anglicane (77 millions de fidèles au niveau mondial), a récemment suscité une énorme controverse suggérant au cours d'une leçon aux Royal Courts of Low que la Grande Bretagne adopte certains aspects de la loi chariatique. Sa proposition dérivait de l'intervention positive d'intégrer dans le système juridique britannique les pratiques et le credo du million huit cent mille musulmans du pays. Cependant le net conseil de l'Archevêque de permettre aux musulmans d'opter, en dehors de la common law laïque, pour un arbitrât séparé et un jugement dans les tribunaux religieux islamiques, a créé l'impression d'une loi pour les musulmans et une autre pour tous les autres. Cette idée révolutionnaire (par la suite corrigée par l'Archevêque) a provoqué une furieuse polémique sur les «états dans les états» et la crainte diffuse que toute licence accordée à la loi chariatique en autoriserait en conséquence les aspects les plus extrêmes. Malheureusement la tempête médiatique a masqué le message réel du discours, qui concernait l'autorité de l'état laïque et son impact sur les minorités religieuses en général et sur les musulmans en particulier. En effet, la véritable cible de la leçon de l'Archevêque est la nature de plus en plus autoritaire et anti-religieuse de l'état libéral moderne. Un laïcisme militant a empêché en France foulards et crucifix pendus aux murs. Il a également mis hors la loi les agences d'adoption catholiques en Grande-Bretagne parce qu'elles refusaient de sélectionner des couples du même sexe comme parents adoptifs potentiels. Sous l'enseigne de la liberté d'expression, certains exposants laïques de gauche ont empêché au Pape Benoît XVI de s'adresser à l'Université La Sapienza de Rome sur le sujet de l'enquête rationnelle. Les préoccupations religieuses légitimes de Williams concernant la liberté de conscience s'associent à une plus ample appréhension dans tout l'Occident à l'égard des conséquences qui se produiraient si l'on ne parvenait pas à intégrer une minorité islamique en croissance, profondément religieuse et aliénée, à l'intérieur d'une culture laïque relativiste et de plus en plus agressive. Toutefois la solution proposée par l'Archevêque répète les fautes du multiculturalisme libéral des années 60 du siècle dernier. En évoquant l'idée de communautés qui partagent le même espace mais mènent des existences séparées, Williams soutient involontairement un scénario qui établit définitivement la ségrégation et détruit toute conception d'un bien commun qui lie tous les citoyens. Malgré cela, Willams reconnaît au moins que la Grande Bretagne est en train de chercher péniblement son propre chemin pour ranger la population musulmane de plus en plus isolée et en proie de courants radicaux. Il est clair que l'intégration de l'Islam dans les démocraties laïques est un défi qui concerne tout le monde occidental et l'Europe en particulier. Malheureusement, tous les modèles laïques existants d'intégration présentent des problèmes. Les versions anglaises et hollandaises du multiculturalisme espéraient assurer des droits égaux à tous les citoyens, mais les deux pays - en abandonnant la cohésion culturelle fondée sur la religion - ont perdu justement ce terme moyen où majorités et minorités pouvaient se rencontrer. L'Allemagne a écarté la tradition chrétienne en faveur d'une description éthique de la propre identité. Tout en garantissant de vastes droits socio-économiques, le modèle allemand refuse encore aux « travailleurs hôtes » musulmans la citoyenneté et par conséquent la participation à la vie civile. En France, l'idéal républicain exerce un charme sur les immigrés, mais sa réalité séculaire nie la forme avant tout religieuse de leur identité. En outre, la population musulmane est discriminée sur le marché du travail et tend à être confinée dans les banlieues. Le refus de faire de la place à la religion empêche d'élargir le concept d'identité française. Le problème de tous les modèles européens réside dans le fait qu'ils déclarent le primat de la loi séculaire sur les principes religieux et également contre eux. Loin d'assurer la neutralité et la tolérance, l'état séculier européen s'arroge le droit de contrôler et légiférer sur toutes les sphères de la vie ; les constrictions d'état s'appliquent de façon particulière à la religion et à la rechute civile. Du point de vue légale, le sécularisme déclare hors la loi toute source concurrente de souveraineté et de légitimité. Politiquement, il nie à la religion tout poids dans le débat public ou dans le processus décisionnel. Culturellement, la promesse libérale d'égalité se convertit pratiquement dans l'imposition laïque de l'uniformité. Comme tel, le libéralisme contemporain n'est en mesure ni de reconnaître les religions dans leurs droits ni de leur garantir l'autonomie qui leur est dû. Par contre, les Etats-Unis offrent une vision très intégrée qui permet l'expression publique de la religion sous les auspices d'un état qui garantisse non seulement les droits individuels, mais aussi l'autonomie des communautés religieuses. Même si les minorités aux Etats-Unis ont subi des discriminations, le modèle américain d'intégration religieuse protège explicitement la religion d'une excessive ingérence de l'état. De cette façon la loyauté envers l'état n'est pas nécessairement en conflit avec la loyauté envers la propre foi. Cela peut sans doute expliquer pourquoi les musulmans américains sont clairement plus intégrés et moins aliénés que leurs corelégionnaires européens. Cela dépend en partie du fait que l'Illuminisme européen a cherché à protéger l'état de la religion, alors que le système américain se proposait de protéger la religion de l'état. Ainsi, le véritable motif de la faillite européenne dans l'intégration de l'Islam est l'option européenne pour le laïcisme. Seul un nouvel accord avec la religion est en mesure d'incorporer avec succès les minorités religieuses croissantes en Europe occidentale. Le libéralisme laïque est simplement incapable d'atteindre ce résultat. Paradoxalement, ce que les autres fois demandent pour être reconnues c'est la récupération de la tradition religieuse européenne indigène : le Christianisme. Seul le Christianisme est en mesure d'intégrer d'autres religions dans un projet européen partagé en reconnaissant ce que les idéologies laïcistes ne peuvent reconnaître : une vérité objective transcendante qui dépasse la revendication humaine, mais qui est ouverte au discernement et au débat rationaux. Comme tel, le Christianisme trace un modèle non séculier de bien commun auquel tout le monde peut participer. Au lieu de chercher à défendre la religion par l'intermédiaire du multiculturalisme laïque, l'Archevêque de Canterbury aurait dû défendre le pluralisme religieux à travers le Christianisme. Ce qui créée plus d'objections parmi les musulmans ce n'est point une différence de credo mais son absence de la conscience européenne. Ainsi, la récupération du Christianisme en Europe n'est pas un projet sectaire, mais plutôt l'unique base pour l'intégration politique des musulmans et pour une coexistence pacifique entre les religions.