La propagation du wahhabisme à travers les établissements d'enseignement saoudiens

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 10:01:59

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Michael Farquhar, Circuits of Faith. Migration, Education, and the Wahhabi Mission, Standford University Press, Stanford 2017

 

C’est une opinion répandue que le salafisme n’aurait jamais atteint son extraordinaire diffusion sans les ressources fournies par l’Arabie Saoudite. Ce que l’on connaît moins, ce sont les mécanismes à travers lesquels le « capital matériel » que représente le pétrole a pu se transformer en « capital spirituel ». Enquêtant sur cette relation, Michael Farquhar, professeur de Politique du Moyen-Orient au King’s College de Londres, a analysé dans son remarquable Circuits of Faith les origines et l’expansion des centres saoudiens d’enseignement religieux, en se concentrant en particulier sur l’un des principaux vecteurs de la propagation mondiale du wahhabisme : l’Université Islamique de Médine. Fondée en 1961 dans le cadre d’une politique religieuse se donnant pour objet d’accroître la légitimation et l’influence internationale de la monarchie, cette institution voit, vers le milieu des années 1970, son budget quintupler grâce au boom pétrolier. On ne saurait réduire toutefois l’histoire de la diffusion du salafisme aux cours de l’or noir. Car la Mecque et Médine sont, historiquement, les destinations privilégiées non seulement des pèlerins, mais aussi de chercheurs désireux d’accroître leur propre savoir religieux. Ainsi, lorsque, dans les années 1920, le fondateur de l’actuelle Arabie Saoudite s’empare du Hijaz – région donnant sur la mer Rouge où se trouvent ces deux villes –, le wahhabisme se voit offrir l’opportunité d’étendre son influence de la région isolée du Najd à ce carrefour spirituel. Mais l’opération n’est pas aisée, parce que précisément dans ce territoire « la tradition wahhabite non seulement n’avait guère eu prise, mais avait été longtemps considérée comme une malédiction » (p. 47). C’est alors que commence une action de salafisation des institutions de l’enseignement, qui peut s’appuyer sur la bureaucratisation déjà amorcée pendant la période ottomane, et sur la contribution de savants et d’intellectuels provenant des grands pôles du réformisme islamique moderne, en particulier l’Inde et l’Egypte.

 

La conjonction entre wahhabisme et autres courants réformistes va devenir l’une des caractéristiques de l’Université Islamique de Médine, et servir à la monarchie saoudienne, promotrice de cette institution, pour rémunérer la fidélité des clercs locaux et dans le même temps, pour conférer à ce projet un souffle d’universalité capable d’attirer les étudiants de tous les coins du monde. Cette double aspiration se reflète à son tour dans les programmes des cours, qui visent à transmettre le rigorisme et l’exclusivisme de la théologie wahhabite, mais en des termes acceptables pour qui ne provient pas de cette tradition discursive. Le but de cette formation est d’ « étendre l’autorité et l’influence de l’appareil religieux saoudien bien au-delà des frontières du royaume » (p. 157), en préparant une armée de missionnaires en mesure de transmettre dans leurs pays d’origine tout ce qu’ils ont appris durant leurs études à Médine. Pour parvenir à cet objectif, les étudiants sont soumis à un régime très rigide, fondé sur une méthode qui combine « l’ethos et les principes organisateurs du marché » (p. 126) avec la construction d’une subjectivité islamique exemplaire, et qui n’exclut pas une surveillance quasi policière de la moralité et de la piété personnelles.

 

Tout le monde ne résiste pas à ce système. Farquhar, qui a passé en revue au cours de son enquête tout un éventail de sources écrites (livres de textes, programmes, revues de l’Université) et orales (interviews d’étudiants et d’anciens étudiants), relève le taux élevé d’abandons parmi ceux qui s’étaient inscrits à l’université, en raison des contraintes imposées par la structure ou de l’hostilité des programmes contre les formes d’Islam dans lesquelles certains d’entre eux se reconnaissent, comme les écoles juridiques et théologiques traditionnelles et le soufisme. Ceux qui, en revanche, arrivent jusqu’au bout investissent le « capital » acquis à Médine dans des domaines divers, qui peuvent aller du leadership religieux à la carrière dans les universités, tant religieuses que laïques. Bon nombre d’entre eux choisiront le rôle de propagateurs du wahhabisme pour lequel l’Université de Médine a été créée, d’autres prendront des parcours différents. Mais même là où le salafisme émanant de l’Arabie Saoudite ne parvient pas à l’emporter sur les autres traditions islamiques, il se transforme en un concurrent aguerri, et par conséquent en un facteur de tension capable de conditionner les communautés musulmanes un peu partout dans le monde.

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

 

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Michele Brignone, « La propagation du wahhabisme à travers les établissements d'enseignement saoudiens », Oasis, année XV, n. 29, juillet 2019, pp. 130-131.

 

Référence électronique:

Michele Brignone, « La propagation du wahhabisme à travers les établissements d'enseignement saoudiens », Oasis [En ligne], mis en ligne le 14 juillet 2020, URL: /fr/universite-qui-entend-former-une-armee-de-predicateurs

 

 

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