Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:49:29
Je suis reconnaissant à l'Alliance Française d'avoir permis à nos Chrétiens d'Orient de faire entendre leur voix à Paris, Métropole de la culture humaniste et berceau de la démocratie et des droits de l'homme. Ces droits prospèrent dans les principes de cette grande nation qui a su communiquer au monde les valeurs tricolores essentielles de la paix sociale : Liberté, Egalité et Fraternité. Ma présence aujourd'hui à ce pupitre, moi Archevêque d'Alep en Syrie, me donne à comprendre que votre République est bien loin de l'hostilité voltairienne, car je suis ecclésiastique et cela ne dérange plus personne, et bien loin aussi de la culture des "sanctions" : je viens en effet personnellement d'un pays condamné à l'exclusion, et vous m'accueillez aussi bien que les intervenants des pays amis de la France. Cela me rassure et me donne à croire que vous écouterez mes considérations sans à priori ni préjugés.
J'ai tenu à écrire cet exposé mot à mot moi-même, et à ne rien repêcher dans les livres et les études très nombreuses qui parlent autant de la Syrie que des chrétiens au Proche-Orient, non par mépris de ce qui a été dit, mais parceque je considère que les chrétiens de Syrie ne peuvent pas rester matière d'histoire ou de dissertations, mais qu'ils ont plutôt besoin d'être présentés en tant qu'hommes vivants "Hic et Nunc", et méritent bien d'être connus comme personnes actives et réellement présentes et engagées dans le monde actuel.
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Aperçu historique
Je commence par vous donner un aperçu succint et très rapide de la présence des chrétiens en Syrie, pour pouvoir ensuite développer plus longuement la présentation de leur situation actuelle, marquée par des tiraillements politiques et des turbulences sécuritaires qui les incommodent.
Il est inutile de vous répéter ce que vous avez mille fois entendu sur la Syrie antique, région des grandes civilisations anciennes, et qui ont depuis les temps les plus reculés, participé à l'évolution de la société humaine et à son progrès : vos missions archéologiques dans la région vous en disent beaucoup sur ce sujet. Volney dans son récit "Voyage en Syrie et en Egypte", nous dit "c'est bien dans ces contrées que sont nées la plupart des opinions qui nous gouvernent, d'où sont sorties ces idées religieuses qui ont influencé si puissamment notre morale publique, nos lois et notre état social."
La Syrie actuelle est, en effet, le produit de cette riche histoire dix fois millénaire, de l'influence des religions monothéistes et de l'apport occidental moderne, qu'elle a commencé à acquérir au XVIIIe siècle, mais qui a trouvé son essor au XXe siècle avec le mandat français, après le départ des Ottomans.
Les chrétiens vivent en Syrie depuis Saint Paul et les Apôtres et ils continuent à y vivre, pleins d'activités et d'entrain, jusqu'à aujourd'hui. Malgré des périodes tristes et obscures, l'histoire nous les montre marcher allègrement à l'avant-garde et offrir à leur société tout ce qui fait le progrès d'une communauté humaine et la prospérité d'une nation : la science, les arts, l'ouverture au monde et la tolérance. La renaissance arabe du dix-huitième siècle, et le progrès en cours actuellement ne peuvent se défaire de la marque de ceux qui ont été les acteurs remarquables de cet essor. Les Chrétiens de Syrie ont vécu en frères avec les musulmans, ils ont arpenté ensemble les sentiers de l'histoire du pays, et ensemble ils devraient lui permettre d'avoir le visage qui convient aux sociétés humaines du début du vingt-et-unième siècle. Encore faut-il qu'ils puissent résister aux secousses de la région qui les préoccupent et déstabilisent le Moyen-Orient d'une façon dramatique !
Le problème palestinien a eu des conséquences considérables et a provoqué en même temps des guerres, des confrontations et l'éclosion d'une pensée nationaliste laïque Pan-arabe qui a trouvé une terre fertile en Syrie, et a pu marquer profondément le pays.
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Situation actuelle des Chrétiens en Syrie
On estime le nombre des chrétiens à environ dix pourcent de la population syrienne, ce qui représente près d'un million et demi de fidèles répartis sur tout le territoire du pays, avec une présence plus marquée dans les grandes villes. Une importante poussée démographique, survenue durant la deuxième moitié du XXe siècle, a pourtant réduit de façon impressionnante le pourcentage des chrétiens dans une ville comme Alep, qui comptait un peu plus de 400 mille habitants dans les années cinquante, et qui en dénombre actuellement un peu moins de trois millions ! Les quelques 160000 chrétiens de la ville représentaient alors près de la moitié des habitants aujourd'hui, avec le même nombre dans le meilleur des cas, ils ne représentent pas plus que six à sept pourcent de la population.* D'une part, une immigration sans précédent des banlieues, quasi entièrement musulmanes vers le centre-ville, contre une émigration sensible des chrétiens vers l'Occident, et d'autre part, un taux de natalité très élevé chez les musulmans et en revanche, de plus en plus réduit chez les chrétiens, ont eu pour résultat cette nouvelle donne, dans un amalgame communautaire pourtant équilibré de longue date. Il est évident que le cas de la ville d'Alep ne peut être celui des autres villes du pays, mais il n'en reste pas moins significatif pour autant. Des trois millions d'habitants des années quarante, la Syrie en compte dix-huit aujourd'hui.
Les choses ont changé, la présence chrétienne en Syrie, consistante et très remarquable par le passé, n'est plus ce qu'elle était ! Il faut donc que nous, Chrétiens de ce pays, nous puissions sortir des catégories reçues du passé et essayer de scruter les données de la situation actuelle de notre communauté nationale, non seulement pour y déceler les éléments vitaux et favorables à notre épanouissement, mais en même temps, pour y repérer les contraintes et analyser les obstacles.
Par le passé, nous pouvions tranquillement vivre dans le pays en étant portés et sous la tutelle de notre propre communauté. Aujourd'hui, cela s'avère de moins en moins évident, autant à cause de la dimunition des effectifs que de la mixité qui s'impose à tous les niveaux de la vie d'une société contemporaine et moderne. Il n'y aurait rien à regretter
* Les statistiques officielles sont plus généreuses. C'est pourquoi, nous préférons rester dans l'ordre des estimations approximatives.
pour les chrétiens avec une évolution pareille, dans la mesure où ils peuvent vivre en sécurité sur un pied d'égalité avec leur concitoyens musulmans, et où ils sont habilités à jouir de tous leurs droits civils sans restrictions aucunes, tout en remplissant leur devoirs de citoyens à part entière.
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La politique intérieure du gouvernement syrien
En Syrie dès l'Indépendance du mandat français, pour laquelle musulmans et chrétiens avaient lutté côte à côte, une communauté nationale non-confessionnelle avait vu le jour. En effet, des mouvements sociaux et politiques, à caractères laïc et national, lancés par des intellectuels imbibés des idéaux républicains de la France et groupant des partisans appartenant à toutes les confessions vivant dans le pays, ont émergé pour développer les structures d'une communauté nationale pluraliste. L'apparition, entre autres, du mouvement "Baath", mot arabe qui peut signifier aussi bien renaissance que résurrection, a été un pas important dans ce sens. Ce parti de tendance progressiste, au pouvoir actuellement, a été fondé en 1947 par des intellectuels chrétiens et musulmans dans le but de rassembler les citoyens des différentes religions, de moderniser la Syrie et d'unifier les pays arabes disloqués.
En 1973, un référendum a permis la promulgation d'une nouvelle Constitution qui établissait les bases d'une gouvernance moderne du pays à tendance plutôt dirigiste mais, malgré tout, laïque et non-confessionnelle dans son contenu, et cela malgré les réticences des instances religieuses conservatrices et leur désapprobation. Cette gestation longue et pénible s'est poursuivie pour nous donner la Syrie contemporaine où devraient pouvoir vivre, paisiblement ensemble, les communautés croyantes les plus diverses qui peuplent le pays.
Il est vrai que le régime syrien n'a pas toutes les vertus de la démocratie et que l'autoritarisme de l'Etat dans ce pays, restreint les marges des libertés politiques des citoyens, mais il est aussi vrai que, laissées à elles-mêmes, et étant donné leur isolement multi-séculaire sous la domination Ottomane, leur coupure d'avec l'Occident et de son évolution culturelle et démocratique, les populations du Moyen-Orient ne sauraient, dans les circonstances actuelles, gérer une démocratie non-confessionnelle et respectueuse des droits fondamentaux des minorités, et encore moins des individus. Liberté de culte, liberté d'expression, égalité des droits entre hommes et femmes et entre muslmans et non-musulmans, etc….
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Droits des chrétiens
Malgré tout, actuellement en Syrie, un chrétien a les mêmes droits qu'un musulman, il peut accéder, de même que les femmes, aux plus hautes responsabilités politiques et civiles. L'Eglise est respectée comme la Mosquée, et les cultes sont favorisés indistinctement. A quelques exceptions près, les enfants fréquentent les mêmes écoles et vont continuer leurs études dans les mêmes universités. Ils sont enrôlés ensemble pour faire leur service militaire ou s'engager dans les forces de l'ordre. La fonction publique autant que les postes de responsabilité dans les administrations sont ouvertes aux uns et aux autres, et il n'y a que la Présidence de la République, qui soit constitutionnellement réservée à un musulman sunnite. Les chrétiens peuvent jouir de tous les avantages sociaux au même titre que les musulmans. Il faut reconnaître aussi que l'Etat accorde certains privilèges aux différentes communautés religieuses, aux Mosquées et aux Eglises : Les hommes de religion sont dispensés du service militaire, les maisons de culte ne paient ni l'eau, ni l'électricité, leurs biens fonciers et immobiliers sont exonérés des taxes et un espace important est laissé aux Tribunaux Ecclésiastiques pour juger dans le cadre des statuts personnels reconnus de chaque communauté. Une multitude de petits gestes d'égard ou d'attention, manifestés aux chrétiens, les sécurise et leur permet de confirmer leur identité nationale et leurs droits de citoyens. Dans ce pays qui cherche la laïcité, on ne peut pas se singulariser par son appartenance confessionnelle, mais par son civisme et sa dévotion à la nation. De bonnes relations humaines soudent les citoyens, dans le cadre d'une société qui se veut laïque et homogène, indépendamment de l'appartenance religieuse des uns comme des autres.
Aujourd'hui, les chrétiens peuvent pratiquer librement leur religion, faire la catéchèse à leurs enfants, organiser pour leurs fidèles des conférences et des sessions de formation, publier des revues et des livres, et, depuis l'arrivée du Président Bachar el-Assad, ils peuvent ouvrir des écoles, des maisons de formation, des institutions éducatives privées, et même avoir leurs propres universités. Ils peuvent aussi avoir un terrain gratuitement offert le cas échéant par la municipalité, pour construire une église, ce qui a été le cas tout dernièrement dans plusieurs grandes villes du pays.
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Convivialité Islamo-Chrétienne
Il est vrai qu'actuellement, en tant que chrétiens, nos fidèles se sentent bien en Syrie et jouissent de leurs droits autant que leurs concitoyens musulmans, sans discrimination institutionnelle notable. Mais, il est aussi vrai, que la montée du confessionnalisme dans la région, qui a surtout commencé avec la guerre civile au Liban en 1976, l'émergence des mouvements salafistes et fondamentalistes, les deux guerres du Golfe et leurs avatars, tout ceci a stigmatisé l'identité confessionnelle et a attisé les sentiments d'appartenance communautaire chez beaucoup de musulmans. L'amitié confiante et la convivialité interreligieuse s'en est fortement ressentie dans différents milieux au détriment de la tranquillité des chrétiens, qui craignent le pire à la vue des multiples manifestations de l'intégrisme religieux, autant verbale que vestimentaire, affichées avec ostentation par leurs compatriotes.
C'est dans ce contexte d'entente, certes, mais en même temps non dépourvu d'écueils, que nous devons naviguer. Il y a d'un côté tout le patrimoine commun qui nous rapproche les uns des autres, et toutes les lois et réglementations qui nous placent en tant que citoyens sur un pied fondamentaliste qui atteint un certain nombre de musulmans, pour limiter leurs velléités d'ouverture aux autres et leur comportement relationnel avec les fidèles des autres religions. Tout cela provoque parfois chez certains individus des gestes maladroits qui enveniment l'atmosphère de confiance mutuelle et de convivalité qui doit être la marque d'une société civile multiconfessionnelle.
C'est un fait que les instances civiles s'opposent à ce genre de comportements, et que toute ségrégation est sujette à des poursuites judiciaires, mais il y a tout de même lieu de dire que les actions impondérables et les nombreuses exactions venant d'individus fanatiques et irresponsables ne peuvent être banalisées ou passées sous silence. Est-ce pour autant que les chrétiens ne peuvent plus vivre avec leurs concitoyens ? Il faut tout de suite dire "non", car malgré ces incidents de parcours, des éclaircies pointent à l'horizon. Les accalmies régionales et la vigilance des autorités locales sont en train d'apaiser les esprits, pour calmer petit à petit cette effervescence qui, à notre avis, ne peut être que passagère dans un pays comme la Syrie, pour toutes les raisons déjà énumérées un peu plus haut, mais aussi en raison d'un choix politique officiellement déclaré et de la bonne volonté d'un grand nombre de citoyens éclairés, qui ne voient pas les raisons pour lesquelles il faut vexer les chrétiens, leurs partenaires de longue date et souvent amis respectables et de confiance.
En effet, avec la montée du fondamentalisme chez certains, nous assistons dans le même temps à une tendance évidente vers l'ouverture et le diaologue chez beaucoup d'autres. Jamais dans l'histoire de l'Eglise de Syrie, nous n'avons pu voir autant de rencontres Islamo-Chrétiennes et autant d'amitiés naissantes entre Chefs Religieux des deux bords…. Il est évident que cela ne peut que se refléter sur le comportement des individus et par le fait même, permettre l'assainissement des relations sociales et la croissance des bons sentiments entre tous.
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Problème de l'émigration
Les chrétiens qui continuent à vivre dans ce contexte socio-culturel en mouvement, s'ils s'adaptent à leur situation présente, n'en sont pas moins tentés par l'émigration vers l'Occident, ce grand fléau qui a frappé toutes les Eglises du Proche-Orient les cinquante dernières années et qui met en danger la chrétienté syrienne plus particulièrement aujourd'hui. A mon avis, notre Eglise se trouve ces temps-ci, face au défi le plus important de son histoire. C'est une question "de vie ou de mort" comme l'indiquait le titre de l'ouvrage "Vie et mort des chrétiens d'Orient", écrit par Jean-Pierre Valogne. Même si je partage un bon nombre des considérations de l'auteur, je ne peux aller aussi loin que lui pour prédire la disparition des chrétiens de notre pays. C'est un danger certain, mais ce n'est pas pour autant une fatalité, ne serait-ce que parce que nous en sommes de plus en plus conscients, et qu'un bon nombre de responsables et de chrétiens laïcs engagés veulent agir pour faire face au désastre.
En effet, les instances ecclésiastiques se penchent sérieusement sur ce problème. Les analyses faites à ce propos indiquent un certain nombre de raisons pour lesquelles les fidèles veulent quitter le pays, nous en citerons les suivants : le spectre d'une éventuelle guerre qu'on prédit sporadiquement, les épouvante ; le fondamentalisme musulman les préoccupe et les révulse ; par contre, l'Occident avec son développement économique et la qualité de vie qu'il présente les attire. En effet, les conditions matérielles dans lesquelles ils se trouvent dans le pays n'ont pas de quoi les attacher à leur mère patrie. En somme, partir pour un bon nombre d'entre eux représente un passage à un mieux-être dans le cadre d'une vie nouvelle tranquille, toute faite de liberté, de sécurité, de succès et de prospérité, comme ils peuvent le constater chaque soir sur leurs écrans.
Les risques sont donc grands, car la tentation de s'expatrier qu'éprouvent les jeunes est grande. Les chefs de nos communautés chrétiennes le savent, certains d'entre eux se résignent peut-être à ce sort, mais un important groupe d'ecclésiastiques et de laïcs veulent aller à contre-courant et faire cesser, quoi qu'il en coûte, cette hémorragie fatale, et moi-même, j'ai fait ce même choix. Je considère que nous nous trouvons face à un "momentum" de notre histoire qui appelle à une réaction vigoureuse, faite de courage et de persévérance. Nous ne pouvons nous dérober à ce rendez-vous, conscients que nous sommes interpellés pour cette échéance de par notre appartenance à cette terre ancestrale où reposent nos aïeux, à cette Eglise d'Antioche, deux fois millénaire, et à la mission apostolique qui nous attend aujourd'hui plus que jamais dans cette partie du monde, où la Providence nous a sauvegardés soigneusement jusqu'à l'époque actuelle, et cela à travers les vicissitudes d'une histoire parsemée de souffrances et jonchée d'épreuves.
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Pour relever le défi
Quelle est notre réponse concrète à ce problème ? Comment vivons-nous cette situation aujourd'hui et quels plans d'action utiles et réalisables pouvons-nous établir pour favoriser l'avènement d'un avenir meilleur ?
Il est évident que notre réponse au problème de l'émigration ne peut se limiter aux déclarations et aux discours. Nos fidèles ont besoin de vivre avec tout ce que ce mot peut signifier dans le parcours d'un homme. Une action articulée et concrète qui se greffe sur tout ce qui existe déjà actuellement, est indispensable. Innombrables sont les points d'appui à partir desquels une synergie significative permettrait la mise au point d'une stragégie efficace et fructueuse dans ce sens.
Nous pouvons identifier quatre éléments vitaux pour nos fidèles :
1º - La paix dans la région
Malgré le climat effervescent qui expose la région au risque d'une déflagration désastreuse, nous entendons des appels pressants pour la paix et nous prions et faisons ce qui est possible pour que les conditions d'une paix juste et durable puissent voir le jour. Nous comptons en cela, tout d'abord, sur la grâce de Dieu, conscients que nous nous trouvons en face d'un problème ardu et difficile. Nous comptons ensuite sur l'action des hommes de bonne volonté, et sur l'intervention des grandes nations soucieuses des droits des peuples et de la justice dans le monde : "La Paix" reste notre grand espoir et notre rêve le plus beau, car elle peut résoudre le plus grand nombre de nos problèmes.
2º - La possibilité de vivre en sécurité et tranquillement avec leurs concitoyens musulmans
Le pays jouit d'une culture très ancienne et d'une histoire Islamo-Chrétienne millénaire riche de convivilaité, d'amitié et de coopération. Grâce aux structures éducatives et académiques très développées, il est possible d'atteindre une très large majorité de la jeunesse pour l'informer. On parle, par exemple, d'un million et demi de lycéens dans la ville d'Alep et de plus de deux cents mille étudiants universitaires en Syrie, ce qui signifie près d'un million de licenciés et seulement une petite minorité d'illettrés. Les programmes télévisés sont diffusés dans tous les foyers et l'internet se développe d'une façon surprenante !
Ces données, avec l'orientation nettement non-confessionnelle du régime, nous permettent d'espérer un dépassement facile du fanatisme, produit de l'ignorance et de la désinformation, et un retour à la tolérance, fruit de la science, de la connaissance mutelle et du dialogue. Avec ces prémices, et dans la mesure où les autorités civiles restent ce qu'elles sont dans ce domaine, notre rapprochement avec les musulmans ne fera que progresser pour atteindre l'ouverture souhaitée et consolider la convivialité qui sécurise tous les chrétiens. Il nous faut, par ailleurs, promouvoir une culture de "l'amitié" entre chrétiens et musulmans, avec tous les moyens possibles, de façon à permettre à nos fidèles de se sentir confortablement établis et heureux dans la société où ils vivent.
3º - Les moyens matériels pour vivre dignement
Les ressources économiques de la Syrie sont innombrables. Certains la considèrent comme l'un des plus riches pays du Proche-Orient. Sans rentrer dans les détails, nous pouvons dire que son produit agricole est suffisant pour nourrir ses 18 millions d'habitants et que son potentiel industriel avec tout ce que représentent les richesses naturelles, archéologiques et touristiques de son territoire, en plus des ressources humaines dont elle dispose, promet un développement important et durable dans un proche avenir.
Ce qui, de ce fait même, peut donner suffisamment d'espace à nos jeunes pour leur permettre de trouver un emploi ou d'entreprendre une activité professionnelle, à leurs souhaits, dans la mesure où ils s'appliquent à leur propre qualification et se décident à travailler sérieusement. L'ouverture économique qu'entreprend actuellement le gouvernement, après 40 ans de repli, ne peut que réconforter les citoyens les plus ambitieux, et encourager les entrepreneurs, grands et petits, à se lancer dans toutes les activités productives espérées.
Il y a certes un manque de savoir faire et les obstacles administratifs de fonctionnement ne facilitent pas la marche de certaines entreprises émergentes. Il y a peut-être aussi, la corruption des fonctionnaires qui dérange, mais il faut en même temps admettre que les choses sont en train de changer rapidement. Ainsi, nous voyons de plus en plus de compagnies locales et étrangères investir dans l'industrie, l'hôtellerie, le commerce, les assurances, les communications, le tourisme, les transports, les services et les activités financières et bancaires ! Cela représente une multitude de postes de travail supplémentaires et intéressants pour nos jeunes, qui peuvent être rassurés quant à leur avenir matériel dans leur pays.
4º - Une qualité de vie adéquate
Nos jeunes avec la mondialisation et l'ouverture en cours du pays, se rendent compte qu'il y a une différence considérable entre la qualité de vie des occidentaux et la leur. Les services publics et les prestations sociales à l'étranger sont de grande qualité, en revanche, ce qui leur est offert chez eux reste modeste et aléatoire. Les lieux publics sont soignés, propres et accueillants. Un habitat confortable est à la portée de tous et des facilités nombreuses sont offertes aux citoyens qui travaillent.
Nous comprenons l'attrait que tout cela comporte, et nous nous rendons compte que la Syrie doit continuer à faire beaucoup d'efforts dans ce sens. Il est vrai que les prestations sociales des différents ministères concernés et des municipalités sont nombreuses et louables, mais il reste pourtant à les développer et à les améliorer en termes d'efficacité et de qualité.
En attendant, nous pensons que l'extension du secteur privé va suppléer en partie à ces déficiences. De plus, nous considérons que les particuliers, autant que les O.N.G. dorénavant habilités à intervenir, auront un rôle de plus en plus important à jouer dans ce domaine. L'heure est peut-être venue pour dire à nos jeunes : allez, bougez et édifiez dans votre cher pays, votre monde à vous ! La France avec sa coopération généreuse pourrait soutenir de façon efficace ce développement tant souhaité.
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La part de l'Eglise
A ce point, vous vous demandez, peut-être, mais qu'est-ce que l'Eglise en Syrie fait pour aider les siens ?!
Ma réponse est simple : nous faisons ce que nous pouvons avec nos faibles moyens, et nous nous donnons entièrement pour aider nos fidèles, mais en même temps, nous menons une action de sensibilisation en encourageant ceux qui sont autour de nous à agir et à soutenir la campagne de modernisation et de développement menés actuellement dans le pays. C'est ainsi, par exemple, que j'ai moi-même trouvé très utile de lancer "Bâtir pour rester" : un mouvement qui regroupe des chrétiens qui veulent agir pour rester dans le pays en améliorant la qualité de vie autour d'eux. Je suis persuadé que leur engagement et leur bon exemple ne manquera certainement pas d'en entraîner d'autres à leur suite. Pour soutenir ce mouvement qui promet beaucoup, j'ai décidé, vus les circonstances actuelles, de mettre à la disposition de nos fidèles tout ce que je possède.
Et c'est depuis quelques années maintenant, que j'ai arrêté de me lamenter pour entreprendre à Alep des réalisations concrètes aux service de nos jeunes générations en vue de leur donner des moyens pour vivre et des raisons d'espérer en un avenir meilleur. En rien que six ans, nous avons pu édifier quatre écoles et instituts techniques, bâtir un grand nombre de maisons, construire des centres destinés aux jeunes, organiser des conférences, des colloques et des congrès autour de trois thèmes clefs : le dialogue Islamo-Chrétien, l'emploi et les débouchés et enfin, l'émigration.
Une école de formation aux métiers du tourisme et une autre de commerce et d'administration ont été ouvertes. Des centres culturels et des structures de loisir ont été établis, et nous venons de lancer quatre grands projets, deux pour l'habitat, avec un total de quatre-vingt-douze appartements, et deux centres de congrès et de rencontres pour le dialogue et la convivialité. Nous savons que d’autres dioceses s appretent à faire autant. Il y aura certainement encore beaucoup de choses que nous pourrons réaliser, aidés par nos amis et avec ceux qui veulent "Bâtir pour rester" !
Paris, le 17 novembre 2007