Crise ou pas, la marche des Émirats du désert aux “supermétropoles” ne s’est pas arrêtée. Et elle continue d’accélérer. Seuls 15 % des sept millions de résidents sont autochtones. Indiens,  pakistanais, bengalis, philippins et moyen-orientaux : la colonie des travailleurs provenant de tous les coins du globe est engagée dans une expérience de construction colossale destinée à durer plus que vingt ans.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:54

Un kaléidoscope stupéfiant d’ethnies et de langues. L’angoisse de perdre son travail, les besoins de la famille, l’absence ou presque de droits : tout cela se mélange à la réalité accueillante de la communauté des compatriotes qui offrent un réseau de soutien et à la pratique religieuse. Pour les très nombreux chrétiens, l’expérience d’une foi vitale et multicolore. « Voilà les esclaves ». Karan indique un vieil autobus Tata avec une cinquantaine d’hommes à bord. Tenue bleue, foulard au cou, quelques uns portent encore leurs casques de protection. Ils sont affaissés sur les sièges et ont le regard perdu dans le vide. Éreintés, après l’énième journée de travail là où le désert et le soleil ont le dernier mot. C’est l’armée d’ouvriers qui construisent des gratte-ciel, des resort et même des îles. C’est le secret des Émirats Arabes Unis. On les rencontre tandis qu’ils rentrent du travail. Ce n’est pas véritablement une maison qui les attend mais des dortoirs faits de containers empilés les uns sur les autres, ou des bâtisses de béton où jusqu’à six personnes vivent dans une pièce de huit mètres carrés. Des colonies de fourmis qui peuplent chaque jour les chantiers de cette région du monde qui a commencé à rêver depuis la découverte de la mer de pétrole sur laquelle elle est assise. Là où jusqu’il y a 50 ans, il n’y avait que du sable et des cabanes de branches de palmiers dattiers, maintenant il y a des pâtés de maisons, des immeubles de 20-30 étages et des gratte-ciel futuristes qui s’élèvent vers le soleil. D’autres viendront s’ajouter parce que Abou Dhabi est une ville qui se modernise et s’étend. Elle veut atteindre les fastes de Dubaï mais, comme tout le monde le répète ici, « pas à pas et sans commettre les mêmes erreurs ». De simple producteur de pétrole, elle veut se transformer en centre touristique, économique et culturel. Le profil de la ville-île se modifie rapidement grâce à des chiffres étourdissants et des cubages infinis qui ont donné lieu à un plan de développement dont le terme est prévu en 2030. Là où il n’y a que du sable et des échafaudages se dressera la ville enchantée. Pour l’heure, ce sont des forêts de grues, un va-et-vient d’excavateurs et de camions. Et une marée d’immigrés : des ouvriers non spécialisés qui pour quelques centaines de dollars par mois travaillent jusqu’à 16 heures par jour en creusant le sable et en escaladant le ciel. Karan est l’un d’eux. Il a 25 ans et provient d’un village du Rajasthan, dans le nord-ouest de l’Inde. Il est arrivé à Abou Dhabi grâce à un parent débarqué aux Émirats il y a une dizaine d’années. Il gagne presque 600 dollars par mois, reçoit régulièrement son salaire et on ne lui a pas retiré son passeport comme il arrive aux « esclaves ». Lui aussi vit dans un dortoir un peu en dehors de la ville et il a les mains calleuses de celui qui vit dans un chantier depuis toujours. Pourtant, il est convaincu de sa chance : « J’ai un bon travail, ils me paient bien et j’envoie de l’argent à la maison ». Cela lui suffit. « Tu veux voir comme ma petite fille est belle? ». Sur son téléphone apparaît la photo d’une petite fille joufflue qui sourit assise sur une chaise. « Elle s’appelle Khusa ce qui dans ma langue signifie “heureuse”. Elle est née quand j’étais déjà parti ». Il n’y a pas que les ouvriers et la main d’œuvre à bas prix qui viennent de l’étranger mais aussi des enseignants, des journalistes, des médecins, des managers. On calcule que les autochtones représentent seulement 15 % des plus de 6 millions d’habitants. Le reste est un monde arrivé par vagues ininterrompues commencées dans les années 70 et qui sont devenues toujours plus importantes. Même la crise économique globale et l’explosion de la bulle immobilière de Dubaï ne semblent pouvoir arrêter ce flux. Le message d’une publicité de la Abu Dhabi Commercial Bank en est la preuve : « Le marché est fluctuant. L’ambition pas ». En regardant autour de soi, on comprend que c’est non seulement un slogan efficace mais aussi la croyance sur laquelle les Émirats basent leur pari. Dans ce pan de désert d’un peu plus de 80 mille kilomètres carrés, une immense offre d’emploi a rencontré une demande d’emploi aussi immense. Si on se base sur les prévisions, en 2010, les Émirats pourraient se retrouver avec 7,5 millions d’habitants, plus d’un million de personnes en plus qu’en 2009. Les dernières données disponibles parlent de presque deux millions d’indiens, 1,25 millions de pakistanais, 500 mille bengalis et plus de 1,5 millions d’immigrés provenant de Chine, des Philippines, de Thaïlande, d’Afghanistan, d’Iran et d’autres pays du Moyen-Orient. C’est un cercle vicieux : davantage de chantiers signifie davantage d’ouvriers, plus de magasins plus de vendeurs et ainsi de suite. Les habitants des Émirats ne seront jamais assez nombreux pour répondre à une telle offre d’emploi. Au contraire, ils ne conçoivent pas de travailler sur un échafaudage, derrière les vitrines d’un shopping center ou dans un des nombreux hôpitaux. Ils préfèrent siéger dans les ministères, aux étages supérieurs des nombreuses sociétés mises sur pied par le gouvernement « pour construire la nation ». Le Welfare Informel À Abou Dhabi à chaque pas, on trouve des magasins de matériel de construction, d’aménagement, de rideaux et d’accessoires pour la maison et le bureau. Petits et grands, luxueux ou éculés, ils arborent des enseignes en anglais et en arabe. Et le long des avenues qui conduisent au centre, c’est une séquence continuelle de furniture, tailoring et rent a car entrecoupée – ça va sans dire – de banques et de mosquées. Cela semble une métaphore de la société : au rez-de-chaussée de chaque immeuble qui s’élève vers le ciel se trouve un magasin. Et à l’intérieur, il y a toujours un immigré. Manuel est un philippin de 28 ans. Il est arrivé à Abou Dhabi depuis un peu plus d’un an. Il a été serveur mais il a été licencié et aujourd’hui, c’est le premier jour à son nouveau travail. Aux Émirats, on ne peut pas rester si on n’a pas de travail. Si on le perd, on a trente jours pour en trouver un autre, autrement on doit s’en aller. Car le visa est garanti seulement par l’employeur, dont le travailleur dépend dans de nombreux sens. Vers la fin de chaque mois, Estrelles se rend dans une habitation d’une zone résidentielle d’Abou Dhabi. Sous la porte, elle trouve toujours une enveloppe avec 100 dirhams à l’intérieur, elle la ramasse, laisse un reçu et s’en va. Philippine de 31 ans, elle est employée dans une banque spécialisée dans les remises d’argent des immigrés. Au lieu d’attendre ses clients assise à son guichet, elle va à leur rencontre dans la zone industrielle de Mussafah, dans les magasins où ils travaillent comme vendeurs ou dans les maisons où ils sont domestiques. L’enveloppe de 100 dirhams sous la porte est le rendez-vous fixe avec une de ses compatriotes, une dame qui fait la bonne dans une famille d’autochtones. Elle n’a pas la permission de sortir pour envoyer une partie de son salaire à ses fils restés au pays. Estrelles n’explique pas comment elle a connu cette femme, elle dit uniquement qu’elle a entendu parler d’elle il y quelque temps à travers ses compatriotes. De nombreuses bonnes vivent dans les conditions de cette inconnue aux 100 dirhams. Quelques unes subissent des violences et, pour se libérer, elles en arrivent même à se jeter par la fenêtre. L’aide, quand elle arrive, passe par le bouche à oreille des compatriotes. Transplantés dans un contexte multiethnique porté à l’extrême, les immigrés ont leur welfare informel. Tu perds ton travail ? Demande à tes compatriotes. Tu es malade, tu as besoin d’argent ou tu as un problème quelconque ? Idem. Les Émirats n’accordent pas la citoyenneté aux étrangers, même pas à ceux qui vivent depuis des dizaines d’années dans le pays. Ainsi, sans perspective d’intégration et à des milliers de kilomètres de chez eux, les immigrés trouvent refuge dans leur communauté d’origine. C’est une dynamique naturelle mais aux Émirats, elle est pratiquement institutionnalisée. « Des haillons à la richesse » voilà le titre d’un livre à succès de Mohammed Al Fahim. Né en 1948 dans l’oasis de Al Ain à 160 km de Abou Dhabi, il appartient à une famille très liée au sheikh Zayed bin Sultan Al Nahyan, qui fonda les Émirats en 1971 et fut le premier Président de la Fédération des Sept États. Al Fahim appartient à la génération qui a vécu dans les cabanes barasti, qui a traversé le désert en croupe de chameau et bu l’eau saumâtre des puits. Il est fier de la révolution qui a permis en 40 ans de combler un écart de plusieurs siècles. Mais il lance un avertissement à la nouvelle génération qui aujourd’hui veut faire accomplir au pays un nouveau bond en avant. La substance de la pensée de Al Fahim peut se résumer en quelques paroles : « De toutes les leçons apprises, il y en a deux qui surpassent les autres en importance. La première et la plus importante est d’avoir confiance en Dieu, parce que sans Lui nous ne sommes rien. La seconde est que l’instruction est un des instruments les plus puissants d’une nation florissante ; sans elle la société risque de se faner et de mourir ». « Il y a cinq ans, quinze personnes travaillaient pour le Conseil, maintenant c’est un immeuble de quinze étages ». Abdul Aziz est un jeune project manager de l’Abu Dhabi Education Council, l’organisme gouvernemental créé pour développer le système d’instruction de l’Émirat. À l’entrée de l’immeuble trône la maquette d’une des 18 « écoles du futur » que le Conseil a commencé à réaliser depuis cette année. Futuriste, éco-durable, équipée des meilleures technologies, elle est le symbole de la nouvelle orientation de l’éducation à Abou Dhabi. Si pour le marché immobilier il existe un projet gouvernemental jusqu’en 2030, pour l’instruction un Plan stratégique décennal fut lancé cette année par l’Education Council. Abdul Aziz explique que l’on compte plus de 250 écoles dans la capitale entre maternelles, primaires et secondaires dont presque la moitié sont privées. C’est le miroir de l’expérience multiethnique que sont les Émirats, où cohabitent un enchevêtrement de systèmes éducatifs. Il y a le lycée iranien et l’école maternelle chinoise, des instituts pour les indiens qui suivent le programme d’études de New Delhi, des écoles où l’on enseigne en arabe et d’autres ou la seule langue est l’anglais. L’Abu Dhabi Education Council veut garantir que tout ce monde respecte des standards de qualité communs, et effectue donc des inspections afin de vérifier la préparation du corps enseignant et la fonctionnalité des structures. L’objectif de l’Education Council se résume en deux paroles, avenir et excellence. La manière de l’atteindre, elle, est unique : faire venir de l’étranger un peu de tout, même des enseignants de langue arabe. Certainement, on n’achète plus les yeux fermés comme autrefois, mais, à Abou Dhabi, l’instruction et la culture s’importent. Pour Fadi, un libanais qui vit à Abou Dhabi depuis 1978, « il est plus facile de construire le gratte-ciel le plus haut du monde qu’une bonne école ou une bonne université ». Jusqu’à 18 ans, ses fils ont étudié dans la capitale, « mais quand est arrivé le moment de l’université, nous avons préféré les envoyer au Liban parce que ici le niveau était encore trop bas ». C’était au début des années 90. Aujourd’hui aux Émirats, il y a plus de vingt universités. Des universités anglaises, australiennes et américaines ont fait leur apparition à Dubaï ; à Abou Dhabi, ce n’est rien de moins que la Sorbonne de Paris qui s’est installée et bientôt ce sera au tour de la New York University. Et pourtant, aujourd’hui, Fadi prendrait la même décision qu’il avait prise à l’époque. Ce sera à cause de la méfiance avec laquelle les arabes du Moyen-Orient considèrent les nouveaux venus aux Émirats. C’est un fait que pour lui qui a fait fortune, « la culture ne s’invente pas du jour au lendemain ». En réalité, à Abou Dhabi, on pense de même et, de fait, la culture, on l’importe. Qu’il s’agisse de la comédie musicale, de la Sorbonne ou de la Foire internationale du Livre de Francfort, cela importe peu. Ce n’est pas un hasard si, parmi les projets pharaoniques lancés par le gouvernement, il y a Saadiyat island. l’Ile du bonheur accueillera entre autres une annexe du Louvre et une du Guggenheim, le cœur d’un espace culturel qui se veut le point d’orgueil d’Abou Dhabi. Pour le réaliser les autorités ne regardent pas à la dépense et elles ont les idées claires. Elles se sont accaparées le meilleur de l’Occident, qui sera cependant flanqué par un musée national et qui prendra le nom du feu le shaykh Zayed, afin d’honorer la mémoire du père de la patrie et préserver le patrimoine du pays. Appeler le Bureau Fatwa Heritage est une parole récurrente dans le vocabulaire officiel des Émirats. En plein centre d’Abou Dhabi, au milieu d’une forêt de gratte-ciel, il y a un des chantiers où le gouvernement veut bâtir « la Trafalgar Square des Émirats ». Le cœur du projet est la construction plus antique de la ville : le palais Al Hosn. C’est un fortin de quatre murs et d’autant de tourelles qui n’atteignent pas les dix mètres de hauteur. La tour principale est de la moitié du XVIIIème siècle, mais la structure actuelle date de 1930. La majesté des gratte-ciel voisins et la patine de blanc dont il fut recouvert lors des dernières restaurations font de Al Hosn une reproduction pour les touristes davantage que pour l’histoire. Mais le patrimoine que les émirats veulent défendre et préserver n’est pas tellement le palais en lui-même, mais plutôt ce qui se passait dans ses murs, une société et un système de rapports qui aujourd’hui encore sont au cœur de la société émiratie. Ce sont les liens de parenté, les coutumes et les hiérarchies des tribus bédouines, la foi en Dieu et en l’Islam : un ensemble d’éléments simples et enracinés qui pour un habitant des Émirats constituent le fondement moral de la meilleure société possible. C’est un patrimoine qui ne représente pas seulement l’identité de la nation, mais la manière de vivre au quotidien de ceux qui sont nés aux Émirats et qui aujourd’hui sont aux commandes. Si on téléphone au 8002422, c’est l’Official Fatwa Call Centre qui répond. L’appel est gratuit et c’est un des services offerts par l’Autorité générale pour les Affaires et les Propriétés islamiques d’Abou Dhabi. Il faut choisir une langue parmi l’arabe, l’anglais ou l’ourdou, et un mufti répond aux questions posées. C’est aussi cela l’Islam des Émirats, des solutions modernes pour des principes archaïques, une conjonction qui modèle la vie quotidienne de tout le monde. On monte dans l’autobus par la porte de devant parce que les tickets n’existent pas encore et qu’il faut insérer une pièce de monnaie chaque fois qu’on prend les transports en commun. Il arrive qu’un étranger n’étant pas certain de l’arrêt auquel il doit descendre se place à côté du chauffeur pour observer la route. Mais alors le chauffeur lui dira d’aller à l’arrière : « devant uniquement les femmes ». Et cela n’a pas d’importance si l’autobus est à moitié vide, si les trois filles à bord sont des asiatiques et qu’aucune d’elles n’est musulmane. La loi prévoit que les hommes et les femmes voyagent séparés et il faut s’y conformer. En matière de préceptes islamiques, les Émirats sont plus libéraux que les autres pays du Golfe. On voit des femmes voilées d’un hijab signé Gucci conduire des SUV mastodontes, d’autres qui se promènent le visage couvert mais qui, sous l’abaya, laissent entrevoir des chaussures à talon haut et des jeans à la mode. La sécularisation – assurent-ils – progresse aussi à Abou Dhabi. Mais l’Islam sunnite est la religion nationale, les citoyens ne peuvent être que musulmans et on ne peut se convertir que vers l’Islam. La constitution reconnaît la liberté religieuse « en accord avec les coutumes traditionnelles », ce qui pratiquement signifie la garantie de la liberté de culte ou un peu plus. Et pourtant, grâce à la magnanimité de la famille royale, ceux qui dans l’Arabie saoudite voisine ne sont que de simples infidèles, à Abou Dhabi, Dubaï et Al Ain, ils reçoivent en cadeau des terrains ainsi que des fonds pour construire leurs lieux de culte. Exception faite pour les juifs. L’Islam pour les Émirats fait partie du patrimoine traditionnel du pays et cela ne se discute pas. Mais il est possible de rencontrer quelqu’un comme Khen Okeh, ministre de l’ambassade nigériane à Abou Dhabi, qui à la question sur le niveau de liberté religieuse répond : « de mon pays, ils devraient venir ici pour comprendre ce que signifie la cohabitation. Chez nous, nous nous tuons, ici on vit l’un à côté de l’autre ». Pour maintenir ce niveau de tolérance, le gouvernement surveille les mosquées et les imam qui viennent pour la plupart de l’étranger. L’Autorité pour les Affaires islamiques, fondée en 2006, se charge de vérifier leur curricula et effectue aussi des entretiens personnels. En somme, pour tous, le secret est de remplir ses engagements. Ce qui pour les non-musulmans signifie ne pas se faire remarquer. C’est une forme soft de « dhimmitude » : à la maison, on est libre de professer sa foi, dehors, la tolérance islamique l’interdit et dicte ses lois. Lorsque le soir commence la messe en plein air, 700 fidèles chantent en chœur « Jésus change mon cœur » dans le compound de l’église catholique Saint Joseph. Au même instant, le muezzin de la mosquée toute proche commence l’adhân qui d’abord éclipse le chant des chrétiens et qui ensuite se tait et alors résonne « Viens Esprit Saint ». Les maisons des capucins du Vicariat apostolique d’Arabie et des sœurs carmélites sont sous les minarets. Les murs de la mosquée jouxtent les murs de l’église. Mais toute la chrétienté est pratiquement concentrée entre les vieilles et les nouvelles maisons des deux pâtés de maisons qui débouchent sur la 17ème rue. Catholiques, orthodoxes, anglicans, évangéliques, protestants tous ont leur espace dans ce coin de la ville. L’église Saint Joseph avant d’être sur la 17ème était sur la Corniche, le front de mer d’Abou Dhabi. Il existe une photo en noir et blanc qui représente la petite structure. Deux croix sont bien visibles sur la façade et le toit et, à vue d’œil, l’église ne pouvait accueillir plus d’une centaine de personnes. Aujourd’hui, la nouvelle Saint Joseph, construite en 1983, n’a aucun signe extérieur, mais elle compte plus de 800 places et le vendredi les personnes arrivent jusque sur la place, tandis qu’à Noël et à Pâques, ils suivent la messe depuis les salons attenants reliés par audio-vidéo. Les fidèles augmentent d’année en année et dans le compound, on trouve le même enchevêtrement de peuples qu’on retrouve dans la ville. Si dehors le travail est le trait d’union, ici, c’est la foi. Un Enchevêtrement de Peuples Chaque jour à 5h30 du matin, des personnes commencent à entrer en catimini par les trois portails noirs qui conduisent au compound catholique. À 6 heures, quand la messe commence, ils sont déjà plus de 300 dans l’église. Il y en a même qui ont parcouru 40 km pour arriver et qui s’échappent après la communion « non pas parce que ce n’est pas un bon chrétien – explique la capucin qui a célébré la messe – mais parce que c’est un bon travailleur qui ne veut pas arriver en retard ». Le va-et-vient de personnes continue discrètement durant toute la journée jusqu’à 22h30 lorsque les trois portails se referment. Tôt le matin arrivent les enfants qui vont à l’école hébergée sur le compound, puis le jeune chauffeur de taxi indien qui va prier dans la grotte de la Vierge de Lourdes, et une dame libanaise qui porte une grosse statue de la Sainte Famille enroulée dans une couverture de laine grise pour la faire bénir. C’est un flux de personnes qui peut passer presque inaperçu. Jusqu’à ce qu’arrive le vendredi. Dans les Émirats, selon le précepte musulman, c’est le seul jour de repos. Et alors les pâtés de maisons qui débouchent sur la 17ème rue se remplissent de milliers de personnes. À Saint Joseph, 15 messes sont célébrées, presque 2000 enfants suivent le catéchisme et, à l’ombre des minarets, on vend des images de Jésus Miséricordieux et des DVD consacrés à l’année sacerdotale. Dans l’église Saint Antoine toute proche, 500 coptes orthodoxes, pour la plupart égyptiens, passent ensemble toute la journée de l’aube au coucher du soleil. Moins de cent mètres plus loin, on tombe dans un autre va-et-vient de personnes. Il y a ceux qui vont à l’église indienne Mar Thomas, d’autres qui se dirigent vers le nouveau centre de la communauté évangélique. D’autres encore entrent dans le compound de l’église anglicane Saint Andrew qui accueille 25 dénominations chrétiennes différentes. Quelques unes ont là leur église, comme les grecs orthodoxes de Saint Nicolas, d’autres louent une des salles pour 150 dirhams l’heure. Cela semble un port de mer où se retrouvent, attachée une à l’autre, des confessions et des Églises qui en soi auraient mille raisons théologiques de discuter et de se disputer. Dans un espace grand comme un terrain de football, on trouve ensemble des traditions et des rites catholiques qui autrement seraient éparpillés de par le monde et il y a des offices en tagalog, en ourdou, en malayalam et en tamil. C’est une communauté de migrants et en même temps une Église orientale. On calcule qu’environ un million de chrétiens vivent dans les Émirats – presque un sixième de la population – et plus de la moitié, presque 580 mille, sont catholiques. Des personnes qui ne sont pas gênées de s’agenouiller, qui veulent prier et chanter, qui travaillent dur et qui, malgré tout, ne cessent d’espérer. Au-delà des murs du compound de Saint Joseph, font autorité des normes qui relèguent toute cette vie à un fait privé et interdisent toute forme de mission. Ce sont des lois qui sont en vigueur aux Émirats. Mais personne n’interdit aux chrétiens d’Occident de se convertir à nouveau face au témoignage de cette jeune Église d’Orient.