Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:39:18
Du temps qu’il était encore recteur de l’Université pontificale du Latran, Mgr Angelo Scola découvrit les chrétiens d’Orient comme des minorités menacées mais vivantes, enracinées aux sources mêmes de la foi chrétienne. Il se rendit compte à la fois de leur isolement et du trésor que représentait pour les autres chrétiens non seulement cet héritage, mais encore la familiarité avec le monde musulman au sein duquel il était désormais reçu et préservé. Cette expérience des chrétiens d’Orient constituait à l’évidence une ressource pour leurs frères d’Occident, en quête de ressourcement, mais aussi confrontés à une immigration musulmane de plus en plus visible.
Nommé peu après archevêque de Venise et bientôt cardinal, Mgr Scola ne mit pas longtemps à saisir que la prestigieuse ville dont il devenait le patriarche avait été la porte de l’Occident vers l’Orient et était même appelée à le redevenir par les circonstances qui exigeaient une révision et un approfondissement des relations entre l’Europe et la sphère de l’islam. C’est donc l’opportunité du dialogue non pas strictement religieux entre chrétiens et musulmans que perçut le cardinal Scola, mais la nécessité de contacts et d’échanges entre Occident et Orient, avec la conscience d’une permanence chrétienne en Orient et d’une forte présence musulmane en Occident. Le dialogue devait ainsi être « culturel », sans exclure la dimension spirituelle et en lui reconnaissant au contraire une importance décisive dans les relations entre les peuples et au sein de chaque nation, en un temps joliment reconnu comme celui du « métissage des civilisations » – ce qui donne une consistance significative à la « mondialisation » dont on nous rebat les oreilles.
Dans l’aride désert des mépris et des méprises réciproques depuis des siècles, le cardinal Scola a choisi de donner à son intuition le nom qui s’est imposé de lui-même: « Oasis », c’est-à-dire un lieu où les uns et les autres pourraient se retrouver sans dévier de leur chemin, réparer ensemble leurs forces en faisant connaissance et en partageant.
La fondation Oasis a aujourd’hui bientôt dix ans. C’est une structure légère, qui publie une revue appréciée des connaisseurs en anglais, arabe, français et italien et une newsletter . Oasis conduit, stimule et soutient des recherches, et surtout a développé tout un réseau de relations entre des universitaires occidentaux, des communautés chrétiennes du Moyen Orient et aussi des responsables musulmans.
Un grand rendez-vous a lieu chaque année en juin: c’est la réunion plénière du “comité scientifique” qui rassemble pour quarante-huit heures de réflexion la plupart de celles et ceux qui participent aux travaux d’Oasis . Celle de 2013 vient de se tenir à Milan, puisque c’est cet énorme diocèse qui vient d’être confié au cardinal Scola.
Mais, selon une règle d’alternance appliquée depuis 2004, cette grande réunion annuelle devrait être l’an prochain accueillie en Orient (comme déjà au Caire, à Amman, à Beyrouth et à Tunis l’an dernier) avant de revenir en Italie en 2015.
Le thème retenu cette année pouvait intriguer. « Sur le fil du rasoir : chrétiens et musulmans entre le sécularisme et l’idéologie ». Entendons par là que, si les chrétiens en Occident sont affrontés à une sécularisation effrénée après avoir survécu tant bien que mal aux idéologies du XXe siècle, les pays musulmans ont pour leur part à découvrir et mettre en œuvre une juste mesure de sécularité et à résister aux tentations de faire fonctionner la religion à la manière d’une idéologie.
Une des leçons à retenir de ces deux journées d’échanges est que la reconnaissance de ce que la tradition chrétienne a identifié avec saint Thomas d’Aquin comme « l’autonomie des réalités temporelles » n’est pas du tout étrangère à l’islam. Témoignages et analyses venues d’Indonésie, du Maroc, de Turquie, d’Egypte et même d’Arabie saoudite, d’Irak et d’Iran l’ont clairement donné à comprendre : l’islam n’exige pas cette idéologie ou ce totalitarisme religieux qu’est la théocratie.
En Egypte, par exemple, l’incompétence des frères musulmans au pouvoir ne remet pas en cause l’attachement populaire à l’islam, mais la politique que produit son idéologisation. C’est une tentation à laquelle il est arrivé que le christianisme succombe. Et la « tyrannie molle » du sécularisme actuellement triomphant en Occident ne doit pas le faire oublier.
A l’occasion de cette réunion internationale à Milan, l’horizon d’Oasis s’est élargi à l’Afrique sub-saharienne, avec la participation du cardinal nigérian John Onaiyekan : la rébellion Boko Haram inscrit son pays dans la problématique de l’interdépendance entre l’Orient et l’Occident qui peut devenir demain solidarité dans la communion des croyants.
Jean Duchesne