Fr Paolo Nicelli

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:44:32

La Malaisie est d'habitude indiquée comme étant la nation (fédération) la plus démocratique parmi les pays à majorité musulmane, grâce à sa croissance productive et son processus d'industrialisation en cours. Néanmoins, cette croissance subit de forts contrecoups, notamment à cause de la Chine et de l'Inde qui sont en train de modifier les orientations politiques et commerciales de tout le Sud-Est asiatique sinon du monde entier. Les prochaines élections malaisiennes proposeront à nouveau non seulement les thèmes économiques et politiques, mais aussi ceux ethniques et religieux, comme facteurs importants de stabilisation des équilibres internes. En réalité, les « minorités ethniques et religieuses » sont considérables, vu qu'elles atteignent 64% de la population, et sont composées par des indiens, des chinois et des groupes ethniques locaux, partagés à leur tour en indous, bouddhistes, chrétiens et groupes religieux autochtones. Il est évident que dans une situation semblable la nécessité d'un dialogue-confrontation » entre minorités et groupe dominant, s'impose. Celui malayen est formé pour la plupart de musulmans, auxquels la Constitution et les lois des états fédéraux reconnaissent un statut privilégié, en les indiquant comme groupe indigène (bumiputra). C'est une population autochtone bien définie par culture et par religion. Par contre, les Indiens et les Chinois, regagnèrent la Péninsule de la Malacca plus tard, en raison des flux migratoires de l'Inde et de la Chine et de la politique coloniale britannique. La vieille répartition du pouvoir qui donnait aux indiens l'administration du secteur agricole, aux chinois celle du commerce et aux malayens celle du politico-institutionnel ne tient plus désormais depuis quelques années. La forte corruption dans presque tous les secteurs de l'état et le désir du groupe malayen de vouloir étendre son pouvoir au-delà de la sphère politique pour entrer dans le domaine administratif et commercial, ont mené aux déséquilibres de pouvoir et à de véritables formes de discrimination à l'égard des minorités, qui ont criblé les années de gouvernement de l'ancien premier ministre Mahatir bin Mohamad et de l'actuel premier ministre Abdullâh Ahmad Badawi. Ce dernier, lança en 2004 l'idéologie de l'islâm hadhari, ou « Islam civilisant », dans le but de vouloir faire de la religion islamique, reconnue comme religion d'état, le « collant » entre tous les groupes ethniques et religieux présents dans le pays, afin que la Malaisie puisse exprimer au mieux sa vocation multiculturelle et multireligieuse, et activer le processus de modernisation du Pays. Le facteur fondant de l'idéologie est le concept de «modération» dans les politiques et dans les relations sociales, qui dans l'esprit de Badawi doit régler les rapports entre les différents groupes présents dans le pays, pour promouvoir le respect des droits de la personne, surtout ceux sur la liberté religieuse. En réalité, cette idéologie n'a jamais été mise en oeuvre et les manifestations populaires récentes des minorités le démontrent. Du côté chrétien on a dénoncé les discriminations incessantes sur la liberté religieuse, de femmes chrétiennes qui ont vu convertir leurs propres enfants à l'islâm par leurs maris musulmans, sans demander leur permission. Selon la loi fédérale, les deux époux doivent donner leur consentement dans le choix de la religion des enfants, mais dans la réalité il se passe que le mari musulman décide unilatéralement de convertir ses enfants à l'islâm, se basant sur le principe que dans un mariage avec un musulman les enfants sont automatiquement musulmans. Les cas de ce genre ont été présentés à la Haute Cour de Justice, qui a renvoyé les couples à la Cour de la Sharî'a pour le jugement sur une question qui touche la religion et sur laquelle l'état ne peut se prononcer. Bien entendu, la partie chrétienne ne se sentant point représentée par une institution musulmane, refuse de faire appel à la Cour de la Sharî'a, qui ne peut qu'écouter la partie musulmane. Cette situation a souvent généré le conflit institutionnel entre les deux cours de justice, laissant, et c'est ce qui est le plus grave, la cause irrésolue avec la suspension du jugement. Les enfants donc restent musulmans et l'épouse chrétienne n'obtient pas justice. Toujours dans le cadre chrétien, il y a eu les cas de malayens qui se sont secrètement converti au christianisme sans faire une profession de foi publique, pour des raisons évidentes de sécurité. Une fois décédés, leurs parents ont manifesté la conversion des défunts, pour pouvoir les enterrer dans un cimetière chrétien. Les défunt restant enregistrés comme appartenant à la religion musulmane en tant que malayen, ont été prélevés avec tout leur cercueil par la police et emmené au poste de police pour des contrôles, suscitant la stupeur et la douleur des familles. Ce genre de situation que l'on pourrait définir « paradoxale » met en évidence combien il est difficile d'appliquer le principe de « modération », tant espéré par le premier ministre Badawi, si le processus diffusé d'islamisation en cours dans le pays ne s'arrête pas. Cette même identification du groupe ethnique malayen avec l'appartenance religieuse musulmane, va contre le principe fondamental de pouvoir choisir librement sa propre foi indépendamment de l'appartenance ethnique et culturelle. Pour terminer, toujours dans le domaine chrétien, le 28 janvier dernier a eu lieu l'énième cas de confiscation de Bibles de la part de l'autorité douanière. Une femme chrétienne nommée Juliana Nicholas est rentrée de Manille (Philippine) avec 32 Bibles en anglais pour les rapporter au Centre de formation Chrétienne de sa paroisse. Après avoir subi l'inspection de son bagage, un douanier a séquestré les Bibles avec l'excuse qu'elles devaient être visionnées par le Département de Contrôle des Textes et des Publications Coraniques du Ministère de la Sécurité Interne. Heureusement, le 5 février, les Bibles ont été rendues à sa propriétaire. Des faits de ce genre - avec en plus le cas d'interdiction d'utiliser le mot « Allâh » pour indiquer Dieu, dans les textes liturgiques chrétiens ou dans des articles de journaux écrits par des non musulmans - sont désormais cause de conflits permanents entre les autorités gouvernementales et les minorités. Cela est valable pour les autres minorités ethniques qui sont discriminées ; comme dans le cas de la manifestation du 25 novembre dernier qui a amené sur la place cent trente mille Indiens dans la capitale de Kuala Lumpur, qui protestaient contre leur situation d'isolement social. La police a réagi violemment avec des arrestations et le renforcement de l'Internal Security Act (ISA), la norme controversée établie en 1969, comme « mesure temporaire » contre la rébellion communiste, qui autorise la détention illimitée, sans procès, pour des raisons de « sécurité ». Ce n'est pas un hasard qu'une loi de ce genre ait été utilisée parfois pour garder en prison des personnes et des opposants politiques, sans une incrimination précise et c'est justement pour cette raison qu'elle a fait l'objet de fortes critiques au niveau international. Comment sortir à présent de cette « impasse »? La réponse est difficile, mais non impossible. Il faut sans aucun doute, revenir au principe de « modération » et il faut l'appliquer au niveau culturel, social et politique, en s'adressant surtout, comme l'espérait le premier ministre Badawi, à la communauté musulmane malayenne, pour qu'elle puisse considérer les minorités ethniques et religieuses non pas comme une menace pour leur identité, mais comme l'opportunité d'une croissance vers cette intégration culturelle et religieuse si nécessaire pour la Malaisie. La solution au problème est reliée au défi éducatif avant même d'être politique et elle concerne la façon de vivre en première personne l'expérience d'une « véritable modération », qui ouvre à l'union entre des cultures et des religions différentes.