Le dialogue comme remède contre la haine qui accompagne les migrations

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:04:44

Compte rendu de Zygmunt Bauman,  « Strangers at Our Door », Polity, Cambridge 2016.

 Il y a une douzaine d’années, en 2004, Zygmunt Bauman avait mis au point le paradigme des « vies perdues » : existences en apparence dénuées de tout pouvoir, placées comme elles le sont aux marges du système économico-social, mais toujours passibles de représenter un bénéfice loin d’être négligeable pour quelqu’un d’assez habile et sans scrupules pour savoir en saisir la valeur d’échange latente. C’est là la perspective qu’il faut garder à l’esprit si l’on veut apprécier le raisonnement que Baumann confie à présent à son Strangers at Our Door, un essai dans lequel on retrouve facilement l’écho d’autres contributions du grand sociologue d’origine polonaise, le long du parcours qui l’a porté à la relecture et à la re-sémantisation de termes comme « peur », « barbare » et « inégalité ».

Encore que rapidement publié, Strangers at Our Door évoque parfois les alternatives inscrites dans un passé qui, tout en étant proche, apparaît désormais révolu. Bauman écrit entre la fin de 2015 et les premières semaines de 2016, alors que l’hypothèse de la Brexit semble bien loin d’être ratifiée par le referendum, et que la course de Bernie Sanders pour la nomination démocratique évoque sur la scène des présidentielles américaines le fantôme gênant de l’anticapitalisme compatissant. Il n’en a pas été ainsi, nous le savons, mais c’est justement le triomphe des populismes protectionnistico-exclusivistes (parmi les phénomènes non évoqués par Bauman figurent pas exemple la rhétorique helvético-tessinoise du « les nôtres d’abord » et l’involution ultérieure des mesures hongroises sur les demandeurs d’asile) qui rend l’alarme dont le livre se fait porteur encore plus actuel.

À qui profite la panique morale suscitée par les flux migratoires en direction de l’Europe ? Bauman part de cette simple question, mais sans se contenter de réponses tout aussi simples. Le dispositif à démanteler en effet n’est pas seulement de nature politique, même si l’attente de « l’homme fort » ‒ pourquoi pas dans la version brushing à la Donald Trump – est une constante bien identifiable dans le débat de ces derniers mois. Le recours aux modes expéditifs du rejet et de l’exclusion ne serait pas possible si cela n’était demandé par des sujets laissés en proie à leur solitude de citoyens globaux, individus désormais incapables d’élaborer un projet commun autre que ceux qui reposent sur les raisons mesquines du ressentiment et de l’opportunité à court terme.

Comme toujours, le discours de Bauman fait alterner le renvoi aux acquisitions culturelles les plus récentes (l’analyse de l’homo sacer effectuée par Giorgio Agamben ou le fonctionnement de la « société de la performance » décrite par Byug-Chul Han), et le rappel des classiques. D’une importance particulière, dans ce cas précis, s’avère la reprise des thèses d’Immanuel Kant exprimées dans son Projet de paix perpétuelle (1795), où l’hospitalité est désignée non comme le résultat d’une concession philanthropique, mais comme un droit de visite, c’est-à-dire le droit inaliénable « d’un étranger à n’être pas traité de façon hostile quand il arrive sur le sol d’un autre ». Il s’agit d’un principe universel qui, en tant que tel, ne peut être soumis à révision. De la même manière, les vagues d’intolérance et de haine qui accompagnent les migrations de ce début de millénaire ne constituent pas en elles-mêmes une nouveauté, mais doivent être insérées dans un cadre anthropologique plus vaste, dans lequel les transformations provoquées par la révolution digitale jouent un rôle important. La logique binaire du « nous et eux » risque de devenir encore plus implacable pour des gens habitués au caractère pendulaire entre online e offline. Le véritable remède, suggère Bauman, est la récupération de la complexité, entendue comme capacité de ne rien prendre pour évident, comme volonté de construire des horizons communautaires concrets, et, surtout, comme disponibilité à placer le dialogue avec l’autre à la base de toute tentative de compréhension de la réalité. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Alessandro Zaccuri, « Migrations, les spéculateurs de la panique morale », Oasis, année XIII, n. 24, décembre 2016, pp. 130-131.

 

Référence électronique:

Alessandro Zaccuri, « Migrations, les spéculateurs de la panique morale », Oasis [En ligne], mis en ligne le 21 février 2017, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/migrations-les-speculateurs-de-la-panique-morale.

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