L’engagement dans l’éducation est décisif pour le développement des relations islamo-chrétiennes et pour combattre les tendances fondamentalistes qui visent à séparer les communautés. De nombreux pays acceptent la présence d’écoles chrétiennes, d’autres non. Nous vous présentons la situation particulière de l’Afrique du Nord.
 

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:43:01

Si nous regardons l’avenir de la relation islamo-chrétienne, il est clair que les travaux de l’éducation sont au premier rang des engagements à prendre. Le courant fondamentaliste qui tend à séparer les communautés les unes des autres est actuellement dominant dans beaucoup de pays musulmans. Il influence très particulièrement les jeunes. Ils s’y engagent, souvent, sans esprit critique, avec la radicalité de l’âge de l’adolescence ou de la jeunesse. C’est dire, donc, l’importance des tâches éducatives en leur direction pour l’avenir de la paix entre les traditions religieuses. Mais, dans le moment même où nous affirmons la centralité des tâches éducatives, nous devons aussi reconnaître que la responsabilité de l’éducation, dans une société donnée revient, d’abord, sinon exclusivement, aux membres de la communauté à laquelle appartiennent ces enfants ou ces jeunes, c’est à dire à leurs parents, en premier lieu, mais aussi à leur communauté nationale et à leurs responsables religieux. Tant que des jeunes sont mineurs, leurs tuteurs (familiaux ou communautaires) exercent sur eux une responsabilité première. Et pourtant dans la plupart de pays musulmans il arrive fréquemment que des parents confient leurs enfants à des établissements éducatifs dirigés par des éducateurs chrétiens. Ces actions ne peuvent être mises en œuvre que dans un dialogue respectueux avec la société à laquelle ces enfants et ces jeunes appartiennent naturellement. C’est en fait ce qui se passe dans beaucoup de pays musulmans où avec l’accord des parents de ces enfants, et avec l’autorisation de l’Éducation nationale, des Congrégations religieuses catholiques animent des institutions éducatives dans lesquelles les enfants ou les jeunes de confession musulmanes sont nombreux, voire majoritaires. Certes ces enfants ou ces jeunes sont souvent placés dans ces institutions, d’abord, en raison du niveau de l’enseignement qui y est assuré. Mais le plus souvent ces mêmes parents musulmans font aussi le choix de ces institutions chrétiennes parce qu’ils en apprécient également les dimensions éducatives, tout en sachant que l’animation en est assurée par une direction chrétienne au bénéfice d’enfants ou de jeunes dont ils entendent bien qu’ils resteront musulmans. Ces parents demandent aux éducateurs chrétiens de respecter les convictions des enfants ou des jeunes et de leurs familles, mais ils entendent en même temps que les éducateurs chrétiens leur assurent non pas seulement des enseignements, mais qu’ils leurs donnent, aussi, une éducation humaine et spirituelle. Nous sommes donc là sur un terrain important de la relation -islamo-chrétienne. Le choix fait par ces parents musulmans prouvent qu’ils ont confiance dans leurs éducateurs chrétiens, qui sont souvent d’ailleurs des religieux ou des religieuses, au moins au niveau de la direction de ces institutions. La situation précédemment décrite existe dans tous les pays musulmans qui acceptent, à coté des établissements de l’éducation nationale, l’existence d’un enseignement non étatique et par conséquent l’existence des écoles catholiques. Cette situation est notamment celle qui prévaut, en pays musulmans, dans les institutions éducatives catholiques au Moyen Orient ou dans beaucoup de pays d’Asie ou d’Afrique. Dans ces pays, quand il existe une minorité chrétienne, les enfants des deux communautés sont donc présents ensemble dans ces établissements éducatifs chrétiens. C’est un fait considérable pour l’avenir de la relation islamo-chrétienne. Il est fréquent en effet que les anciens élèves chrétiens et musulmans de ces établissements gardent des liens entre eux après la fin de leurs études dans le cadres d’association d’anciens élèves qui souvent sont actives dans la société. Mais en Afrique du Nord s’y ajoute un élément particulier. En effet, au Moyen Orient les institutions qui accueillent des enfants musulmans sont gérées aujourd’hui par des chrétiens du pays, qui, bien que de confession différente, communient, donc, aux valeurs nationales du pays. Au Maghreb, là où ces écoles ont pu subsister, par exemple au Maroc et en Tunisie, les directions des institutions catholiques sont assurées par des chrétiens étrangers animant des structures dont les enfants et la plupart des enseignants sont musulmans. C’est dans ce contexte que s’opère l’engagement éducatif des directions chrétiennes au bénéfice d’enfants musulmans et dans un dialogue avec des parents et des enseignants musulmans. Et actuellement dans ces deux pays (Maroc et Tunisie) tous les enfants accueillis sont de confession musulmane, puisqu’il n’y a pratiquement pas de chrétiens autochtones. Il serait donc très intéressant pour notre réflexion de disposer d’un témoignage sur le dialogue éducatif qui s’établit ainsi entre responsables chrétiens, d’une part, et enseignants ou parents musulmans d’autre part, à propos du projet éducatif mis en œuvre dans ces établissements chrétiens qui accueillent des enfants tous musulmans. En Algérie nous avons eu cette expérience avant l’indépendance du pays et jusqu’à la nationalisation de tous nos établissements d’enseignement, en 1976. Nous avions, à ce moment là, plus de quarante mille enfants et jeunes, depuis les maternelles jusqu’à la fin du secondaire. Et notre plus grande difficulté était, alors, de ne pas pouvoir accueillir tous les enfants que des parents musulmans voulaient nous confier faute de place. Aujourd’hui ces établissements n’existent plus au Maghreb, ni en Algérie, ni en Libye, ni en Maurétanie. En Dehors du Circuit Scolaire La fermeture de nos établissements catholiques d’enseignement ne signifiait pas la fin de notre dialogue éducatif dans la société algérienne. En effet, dans un premier temps, d’abord, l’éducation nationale algérienne acceptait dans ses établissements des chrétiens, des prêtres ou des religieux/ses qui, ayant les diplômes nécessaires, désiraient apporter leur contribution. On se retrouvait ainsi dans la situation paradoxale où des clercs chrétiens avaient le droit d’enseigner dans des établissements publics musulmans, en Algérie, alors que ce même enseignement leur était interdit dans l’éducation nationale française pour cause de laïcité de l’État. Toutefois, cette situation ne devait durer qu’un temps, celui qui était nécessaire à l’Algérie pour former ses propres enseignants. Quand cela fut fait, seuls ont pu rester, dans l’enseignement public, les enseignants chrétiens qui avaient la nationalité algérienne. Mais, malgré la nationalisation de leurs écoles, l’action éducative des chrétiens allait demeurer possible en Algérie dans d’autres types de structures, souvent animées par des religieuses, particulièrement dans les quartiers défavorisés des villes ou en zone rurale, qui existent jusqu’à ce jour : des centres de formation féminine ; des revues de formation féminine éditées par des équipes de rédaction où sont engagées ensemble des chrétiens et des musulmans ; des institutions pour enfants handicapés dans lesquels des chrétiens se trouvent engagés avec des musulmans ; quelques groupes d’animation éducative par le loisir, voire des colonies de vacances ou des activités d’été ; des bibliothèques pour jeunes ou pour étudiants, notamment pour éducateurs ; des structures de formation ou de réflexion sur l’éducation et particulièrement sur l’éducation des enfants et des femmes. Ces structures assurent d’abord la transmission d’un savoir technique. Mais elles transmettent aussi une certaine conception de la personne humaine et de la femme et de sa place dans la famille et la société. Pour donner un exemple concret de cette action éducative, il peut être intéressant d’évoquer la Revue Hayat, publiée dans les deux langues arabe et française et diffusée en Algérie, depuis bientôt un quart de siècle, auprès des femmes et des jeunes filles musulmanes sous la responsabilité conjointe du Croissant Rouge Algérien et de la Caritas algérienne. Le comité de rédaction est formée, à égalité de femmes chrétiennes et musulmanes, qui orientent ensemble la Revue. Pour introduire à la nouvelle année civile (2010), l’éditorial de la Revue écrit : « L’année 2010 vient de commencer […]. Préparons-nous à accueillir le nouveau [...] notre attitude positive nous aidera à apprécier l’effort et la bonne intention de ceux qui nous entourent, à nous mettre à leur place et à essayer de comprendre leurs actions. De petits gestes suffisent pour montrer à l’autre que nous le comprenons et qu’il compte pour nous » (n° 185, fév. 2010). Ou encore à l’occasion de la nouvelle année scolaire, on trouve dans l’éditorial les réflexions suivantes : « Avec quelles attentes aborderons-nous cette nouvelle année scolaire ? Oserais-je m’approcher de cette maman que je vois chaque matin lorsque j’accompagne mes enfants à l’école ? Cette étudiante de première année qui prend chaque jour avec moi le bus semble totalement perdue. Pourrai-je la rassurer en lui donnant quelques informations de base sur la vie universitaire [...] Vers tous ces gens et bien d’autres nous pouvons aller et faire de nouvelles connaissances. Donnons-nous le temps de nous en approcher à petits pas » (n°183, oct. 2009). Notons encore quelques lignes à propos de la journée mondiale de la femme, dans un autre éditorial : « Que représente cette journée mondiale de la femme pour nous algériennes ? Allons-nous relever le défi et le combat pour que sur tout le territoire national chaque fille ait son droit d’aller à l’école, que chaque femme soit heureuse d’être femme et qu’elle prenne conscience de l’importance de sa place dans la société » (n° 174, avril 2008). Un autre domaine important de l’action éducative de chrétiens(nes) dans la société algérienne musulmane est celui des initiatives prises au service des enfants handicapés mentaux. On sait la difficulté que rencontrent les famillesdans lesquelles il y a un enfant handicapé. Bien souvent, en milieu traditionnel, ces familles n’osent pas laisser leur enfant sortir de chez lui parce qu’elles ont honte de son handicap. Des chrétiennes travaillant avec de familles algériennes musulmanes concernées ont pris, en de nombreux endroits, des initiatives pour obtenir des autorités les subventions nécessaires à l’ouverture de centres de formation. L’épanouissement dans ces centres des capacités de ces enfants est, en même temps, l’occasion d’une croissance du respect des familles et de l’environnement pour tout enfant quel que soit son handicap, et, finalement pour toute personne handicapée, en raison de la dignité mieux reconnue de chaque personne humaine. Un journaliste musulman écrivait à propos d’une chrétienne engagée dans ce type d’effort dans une banlieue défavorisée : « Cette éducatrice est toujours là pour arracher quelques petits locaux au service des plus démunis parmi les démunis, les handicapés mentaux. Cette femme est si incroyablement vraie, si juste, que […] tous lui rendent grâce d’avoir été un jour sur leur chemin […]. Cette femme là c’est de l’or pur […]. On se rend compte qu’elle ne cessera jamais d’être notre maître. » Autres Structures Chrétiennes Nous ne pouvons pas décrire chacune des structures éducatives qui existent en Algérie conduites par des chrétiens au bénéfice d’enfants musulmans : clubs de jeunes, cours de soutien scolaire, bibliothèques spécialisées pour les éducateurs et les psychologues, rencontres de mères de famille, colonies de vacances ou camps de jeunes. Dans chacune des structures qui conduisent ces actions, les animateurs sont en même temps des chrétiens et des musulmans entre lesquels le dialogue éducatif s’établit concrètement à partir des actions menées. A titre d’exemple retenons surtout l’école des éducatrices de jeunes enfants qui assure à Alger, sur deux ans, une formation en cours d’emploi à plus de 120 éducatrices. Il est clair que dans une structure de cette sorte, au-delà des informations techniques, il y a aussi une réflexion commune islamo-chrétienne sur le respect de l’enfant et le développement de ses capacités y compris de son ouverture au sens de Dieu. En général les différences dogmatiques empêchent que cet échange ait lieu avec des références expressément confessionnelles. Le passage des valeurs éducatives se situe plutôt au niveaux des valeurs humaines communes: honnêteté, vérité, justice, sincérité, respect de l’autre, notamment des parents, mais aussi de l’autre quel qu’il soit, morale sexuelle, sens civique, altruisme, attention au bien commun, paix, pardon et réconciliation, sacralité de l’existence humaine voire, plus récemment, défense de l’intégrité de la création etc… La commune référence à Dieu permet aussi de rapporter ces valeurs à leur source qui est un projet de Dieu sur l’homme, mais sans référence confessionnelle précise. En effet, il est difficile, en contexte islamo-chrétien, d’aller plus loin dans les références religieuses puisque les sources de la morale sont inscrites dans les textes considérés comme révélés par chacune des deux communautés et qu’il n’est pas possible pour un chrétien de citer explicitement des sources bibliques devant des musulmans et encore moins de faire références aux sources coraniques de l’éthique musulmane. Cette difficulté s’accroît lorsque l’évolution des mentalités musulmanes conduit à analyser les comportements seulement a partir des catégories du « permis » et du « défendu », et non sur la base d’une réflexion partant de la dignité de la personne humaine et des communautés humaines. Mais, ces réserves étant faites, on mesure l’importance du partage qui s’instaure très concrètement entre éducateurs chrétiens et musulmans aux différents plans de l’éducation. Une spécialiste algérienne musulmane de cytologie vient, par exemple, de publier un livre, préfacée par une historienne algérienne musulmane, pour faire connaître ce qu’elle et ses compagnes, ont reçu d’une structure éducative chrétienne de leur jeunesse mis en place par les soeurs blanches sous le nom de « La ruche ». Plusieurs adultes algériens ont aussi récemment exprimé dans un ouvrage ce qu’ils ont reçu dans la structure éducative mis en place pour les jeunes par un responsable du Focolare, aujourd’hui décédé. On pourra éclairer le partage des valeurs éducatives entre chrétiens et musulmans en interrogent les adultes musulmans qui ont bénéficié d’une formation éducative dans des établissements chrétiens ou qui ont participé à cette action éducative avec des chrétiens comme éducateurs. Des témoignages de cette sorte pourraient donner une vue plus concrète et souvent plus positive que celle qui résulte de débats abstraits sur la relation islamo-chrétienne.