Né comme mouvement révolutionnaire, le Chiisme a connu tout au long de son histoire une croissance constante et ininterrompue du rôle des oulémas

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:02:27

Les religions ne tombent pas du ciel. Plutôt, leurs idées théologiques, éthiques et politiques et leurs prescriptions sont le résultat de transformations et de développements historiques et sociaux qui prennent forme sous l’effet de la rencontre avec les forces qui les entourent. Même des croyances apparemment antiques et bien enracinées, que l’on tend à considérer comme « traditionnelles », ne doivent pas être considérées comme allant de soi, parce que chaque tradition a été « inventée » à un certain point de l’histoire et a commencé comme une innovation, souvent révolutionnaire. L’Islam chiite en général – et la pensée politique du Chiisme duodécimain en particulier – ne fait pas exception à la règle. Au cours de près de quatorze siècles d’existence, il a subi une série de transformations qui en ont à plusieurs reprises altéré le caractère. Mais dans le même temps, l’institution de la marja‘iyya, née au XIXe siècle, offre un parallèle extraordinaire avec l’imamat chiite des origines. Et cela pose, en ce début du XXIe siècle, plusieurs problèmes de poids.

 

 

La doctrine de l’imamat

 

La théorie chiite classique de l’imamat a été une solution de repli. Elle doit son existence essentiellement à la faillite totale du Chiisme des origines comme mouvement politique révolutionnaire. La série de défaites sur le champ de bataille (dont la plus douloureuse fut, après la révolution réussie contre l’ennemi commun omeyyade, l’exclusion subie de la part des ancien-alliés abbassides) a été sublimée par la certitude d’appartenir au peuple élu et par une exaltation démesurée de la figure de l’imam. C’est avec le sixième imam Ja‘far al-Sâdiq (m. 765) que fut conçue la doctrine de l’imamat, dont les caractéristiques principales étaient l’impeccabilité absolue et l’omniscience en tant que guide désigné par Dieu. On soulignait en outre que le monde ne pouvait exister sans un imam, et l’imamat était étendu jusqu’au passé le plus éloigné, jusqu’à y inclure les prophètes préislamiques, considérés à la fois comme prophètes et imams. Mais en même temps, on n’estimait plus nécessaire que l’imam fût le guide politique effectif de la communauté. L’imamat en tant qu’institution spirituelle et religieuse centrale était de ce fait séparé du califat du pouvoir politique : à partir de ce moment, il fut possible d’être un imam parfaitement légitime sans devoir devenir nécessairement calife. Il va de soi que dans ce scénario, le califat (sunnite) était une forme illégitime de gouvernement. Mais tant que l’imam était présent en qualité d’autorité juridique suprême, les croyants pouvaient s’en accommoder.

 

La première phase du Chiisme pourrait être vue comme un rétrécissement continu du groupe des prétendants légitimes au leadership de la communauté. La condition (qui a survécu dans le califat sunnite) voulant que le guide de la communauté doive être un membre des Quraysh – la tribu du Prophète – fut dans un premier temps limitée au seul sous-clan des Banû Hâshim (qui excluait les omeyyades), puis à la seule descendance du premier imam ‘Alî Ibn Abî Tâlib, et enfin, au temps de Ja‘far, à la seule descendance husaynide, c’est-à-dire aux descendants de Husayn – fils de ‘Alî et troisième imam, assassiné près de Kerbala en 680. De cette manière, tant les abbassides que les autres concurrents chiites étaient efficacement exclus de l’imamat légitime. Mais c’était une victoire à la Pyrrhus, parce que les imamites étaient terriblement à court de candidats. La mort précoce du fils de Ja‘far, héritier désigné de son père, provoqua un grand schisme dans la communauté ; et à deux reprises par la suite, il fallut reconnaître comme imam des mineurs[1].

 

Le coup fatal arriva en 874, lorsque le onzième imam, al-Hasan al-‘Askarî, mourut sans laisser de successeur connu. Il fallut plusieurs décennies pour que l’on parvienne à un consensus sur le fait que l’imam avait eu en réalité un fils du nom de Muhammad, lequel toutefois avait été caché par Dieu, entrant en Occultation (ghayba).

 

 

L’entrée sur scène des oulémas

 

Il fut très vite bien clair que le Chiisme imamite allait pouvoir exister même sans imam, mais que de toute façon la communauté avait besoin d’une autorité religieuse et juridique, et d’un guide. Sur la longue période, cela fut garanti par un processus en deux phases. La première phase, relativement brève, consista à faire baisser sensiblement la fièvre eschatologique pour l’imminente Parousie de l’imam. L’idée de l’Occultation en elle-même n’était pas nouvelle, plusieurs courants chiites l’avaient déjà utilisée précédemment. Ce qui distinguait les imamites des autres courants, c’était le fait que le retour de l’imam « bien guidé » (mahdî) n’était plus considéré comme un événement imminent, mais il était renvoyé à la fin des temps, quand l’imam serait revenu pour préparer le Jour du Jugement. Avec cette réorganisation fondamentale réalisée entre 874 et 941 après J.C.[2], le nombre des imams était limité à douze et l’imâmiyya précédente transformée en Chiisme duodécimain (shî‘a ithnâ ‘ashariyya) qui à la fin allait devenir, et est encore, la version dominante de l’Islam chiite, aux dépens d’autres mouvements comme le mouvement zaïdite ou le mouvement ismaélite. La seconde phase a duré plus longtemps – environ mille ans – et peut se décrire comme un processus continuel de rationalisation et d’autopromotion de la classe des savants religieux et des juristes (oulémas, fuqahâ’), qui désormais commencèrent à servir de délégués de l’imam caché[3].

 

Ce processus fut mis en route en moins d’un siècle par plusieurs savants illustres comme Ibn Bâbûya (m. 991), al-Shaykh al-Mufîd (m. 1022), al-Sharîf al-Murtadâ (m. 1044) et « Shaykh al-Tâ’ifa » al-Tûsî (m. 1067), qui s’appuyèrent sur la raison (‘aql) comme instrument principal pour se libérer de l’ésotérisme imamite. En appliquant la critique rationaliste ils parvinrent non seulement à écarter les traditions qui attribuaient aux imams des caractéristiques surnaturelles, mais aussi à libérer le Chiisme de la vision cyclique de l’histoire, faite de guides qui disparaissent et réapparaissent, de manière à lui faire suivre un parcours linéaire couronné par un final adéquat : le retour du rédempteur ultime à la fin des temps. Ainsi la doctrine chiite fut transformée de mouvement millénariste centré sur la figure de l’imam qu’elle était au début, en un système de droit et de jurisprudence.

 

Toutefois, la différence structurelle est moins importante qu’il ne pourrait sembler, vu que l’autorité religieuse et le guide ultimes furent simplement transférés d’une institution fondée sur une descendance généalogique plutôt restreinte (les imams) à une institution fondée de manière beaucoup plus ample sur la méritocratie (les experts religieux). Ainsi, de même que les imams affirmaient être inspirés par Dieu et donc habilités à exprimer des jugements autorisés contraignants pour leurs disciples, de même les oulémas fondaient leur droit à agir pour le compte du mahdî sur le raisonnement individuel (ijtihâd). Comme les imams, ils eurent soin de limiter cette prérogative à leur propre caste, excluant ainsi la masse des croyants ordinaires, qui furent obligés de s’abstenir de la réflexion indépendante et au contraire d’imiter (taqlîd) un juriste. Il n’était permis en aucune manière aux non-initiés de mettre en discussion l’inspiration présumée des imams, et encore moins la faculté présumée des savants rationalistes de pratiquer l’ijtihâd. Il en résulta inévitablement une nette séparation sociale entre de peu nombreux mujtahidûn (qualifiés pour pratiquer l’ijtihâd) et de très nombreux muqallidûn (dépendant du taqlîd). On peut voir cette situation soit comme une désacralisation du pouvoir des imams, soit comme le début d’une sacralisation progressive du pouvoir des oulémas.

 

L’adoption de l’ijtihâd de la part des juristes fut en grande partie achevée au XIVe siècle, quand l’école dite « de Hilla », et surtout son plus célèbre représentant, al-Hasan Ibn Yûsuf « al-‘Allâma » al-Hillî (m. 1325), présenta un système de pensée élaboré et cohérent. Il est vrai que les deux pivots fondamentaux de ce système avaient apparemment le caractère de simples prémisses : chaque mujtahid était autorisé à recourir au raisonnement personnel du moment qu’aucun d’entre eux n’était considéré comme infaillible, et l’ijtihâd était réservé aux seuls experts vivants, parce que « les morts n’ont pas voix au chapitre », selon la devise laconique de al-Hillî. En réalité, ce fut précisément cette condition et la nécessité d’une enquête et d’une révision constantes qui furent les bases d’un développement croissant et continuel de l’importance intellectuelle et sociale des experts religieux.

 

Dotés de l’instrument précieux de l’ijtihâd, aidés par l’état d’incapacité juridique attribué aux fidèles, et favorisés par les circonstances politiques (les Safavides avaient conquis l’Iran en 1501 et fait du Chiisme la religion officielle de l’État), les oulémas parvinrent, entre le XVIe et le XIXe siècle, à s’approprier quatre importantes prérogatives précédemment réservées à l’imam caché : la perception des impôts religieux, la juridiction dans le domaine des punitions corporelles (les peines dites hudûd mentionnées dans le Coran), la direction de la prière collective du vendredi et, enfin, l’appel au djihad[4].

 

Ce ne fut certainement pas une coïncidence si le savant libanais ‘Alî al-Karakî (m. 1534), qui donna une impulsion décisive à la diffusion du Chiisme duodécimain en Iran, se vit décerner officiellement des titres honorifiques et prétentieux comme « vicaire de l’imam » (nâ’ib al-imâm) ou « sceau des savants » (khâtam al-mujtahidîn). À ce moment-là en effet, la conviction s’était déjà bien enracinée que les juristes étaient les représentants collectifs de l’imam.

 

 

La victoire des usûlîs et l’institution de la marja‘iyya

 

La récupération collective des prérogatives de l’imam par les mujtahidûn n’alla pas sans discussions. Plus les juristes rationalistes assumaient le rôle de vicaires du mahdî, plus s’élevaient les voix de ceux qui insistaient sur le fait que les traditions anciennes des imams (akhbâr) conservaient leur validité et n’avaient aucun besoin d’explications ultérieures. Les akhbârîs, comme on les appelait, refusaient de ce fait la prétention des juristes de devoir recourir au raisonnement autorisé dans toutes les questions relatives aux principes juridiques (usûl, d’où le nom de usûlî) et rejetaient l’ijtihâd. Pour eux, tous les chiites continuaient à dépendre (muqallidûn) des imams. On pourrait donc conclure qu’à leurs yeux, il n’y avait aucune différence entre la période antérieure à la ghayba (Occultation), alors que l’imam était présent, et la période qui a suivi son Occultation[5]. Mais si nous appliquons ici aussi une approche structuraliste et non théologique, nous pourrions soutenir qu’il n’y a aucune différence intrinsèque entre le rôle social et intellectuel des imams et celui des oulémas, les uns et les autres étant des autorités religieuses ultimes pour les croyants ; nous pourrions ainsi parvenir fort bien à la conclusion contraire. Les akhbârîs pourraient alors être considérés comme ceux pour qui, entre les imams divinement inspirés et les êtres humains se dresse un mur massif qui ne peut (ni ne doit) être franchi par des efforts humains d’interprétation des prescriptions religieuses. Pour les usûlîs en revanche, il n’existe pas de divisions de ce genre, du moment que l’autopromotion leur a permis de prendre progressivement la place des imams, rendant totalement incertaine la frontière entre la période pré- et post-ghayba[6].

 

La dispute entre les akhbârîs et les usûlîs, survenue essentiellement dans les deux villes saintes irakiennes (atabât) de Nadjaf et Kerbala, se termina vers la fin du XVIIIe siècle sur la victoire des usûlîs[7]. Leur succès fut favorisé également par des éléments socio-économiques : le fait que les oulémas étaient les bénéficiaires et les gestionnaires des impôts religieux et des donations leur garantissait l’indépendance économique des pouvoirs politiques ; certains d’entre eux, surtout ceux qui appartenaient aux classes les plus élevées, devinrent extrêmement riches[8]. Ces développements en même temps devait restituer une influence notable aux croyants ordinaires lesquels, bien qu’intellectuellement éclipsés par le pouvoir de l’ijtihâd que détenaient les experts religieux, conservaient le pouvoir économique de décider à qui destiner les donations financières. Plus un savant de haut rang devenait populaire, plus il recevait de donations, et plus grand était le nombre d’étudiants qu’il pouvait soutenir. Ces derniers, à leur tour, allaient attirer un nombre plus grand de fidèles, qui allaient payer leurs impôts à l’expert, contribuant ainsi à son réseau. Cette circulation d’autorité religieuse, pouvoir économique et relations politiques fonctionnait à la satisfaction de tout le monde, y compris – et ce n’est pas la moindre raison – parce que les gouvernants Kadjar en Iran ne possédaient pas de références religieuses propres, et dépendaient des oulémas pour garantir leur légitimité religieuse.

 

Appartenir à la classe des experts religieux (qui désormais pouvaient se définir légitimement un clergé) devenait ainsi hautement gratifiant. Il est assez significatif que les oulémas n’aient pas manifesté le moindre intérêt lorsque, en 1840, on vit surgir un mouvement messianique centré sur la figure de Sayyid ‘Alî Muhammad Shîrâzî, qui affirmait être la porte (bâb) vers l’imam caché, et qui, plus tard, serait allé jusqu’à se présenter comme le mahdî en personne revenu de l’Occultation. Les juristes au contraire stipulèrent une alliance avec le gouvernement, faisant en sorte que le mouvement soit excommunié et persécuté. Si, d’un côté, cette initiative révéla que les oulémas ne pouvaient maintenir leur quasi-autonomie sans le soutien de l’État, de l’autre, elle contribua à la consolidation interne du clergé. Vers 1850, en effet, l’idée commença à s’enraciner que, par-delà la dichotomie persistante entre mujtahidûn et muqallidûn, entre interprètes qualifiés et fidèles ordinaires, le plus savant des juristes devait être une « source d’imitation » (marja‘ al-taqlîd) y compris pour les autres mujtahidûn moins experts. Il en résulta une évolution de la hiérarchie fondée sur le principe de l’érudition (a‘lamiyya) et sur l’idée qu’il ne devrait idéalement exister qu’un seul marja‘ à la fois, même si la possibilité qu’il y ait plusieurs marâji‘ en même temps n’a jamais été exclue[9]. Pour parler en termes wébériens, il s’agissait de la tentative de routiniser le charisme des oulémas en créant « l’institution » de la marja‘iyya[10].

 

 

Entre deux (ou plus) révolutions

 

La cléricalisation et la formation progressive d’une hiérarchie d’experts religieux chiites constituèrent des tournants décisifs, mais sans produire encore la politisation des oulémas, aussi bien en raison de l’interdépendance entre le clergé et l’État Kadjar, que parce que les ‘atabât irakiennes faisaient partie de l’Empire ottoman sunnite[11]. On estime que le premier expert religieux à détenir la marja‘iyya a été Murtadâ Ansârî (m. 1864), iranien de naissance, résidant à Nadjaf comme juriste spécialisé en droit commercial, et dénué de toute ambition politique. Il en fut de même pour son successeur Mîrzâ Hasan Shîrâzî (m. 1895) lequel, pour fuir le poids et les contraintes de la marja‘iyya, abandonna Nadjaf et fonda un nouveau centre d’études (hawza) à Samarra en 1874[12]. Toutefois, les circonstances et les sollicitations de l’activiste réformiste Jamâl al-Dîn al-Afghânî (m. 1897) le poussèrent dans l’arène politique, au moment où le souverain Kadjar Nâsir al-Dîn Shâh concéda le monopole du commerce iranien du tabac à un homme d’affaires britannique. Shîrâzî réagit en lançant une fatwa (décembre 1891) qui interdisait aux fidèles la consommation de tabac, et à ce point, le Shâh dut rompre l’accord. Ce fut la seule incursion politique de Shîrâzî : il la fit du reste plus ou moins contre sa volonté, mais elle mit en évidence la force potentiellement explosive que le leadership religieux suprême d’un marja‘ chiite pouvait exercer. Les activistes contemporains de ces événements comme al-Afghânî en eurent la claire perception, mais l’ingérence cléricale dans la politique resta une exception.

 

Pendant la Révolution constitutionnelle en Iran (1906-1907), une coalition improbable entre intellectuels constitutionnalistes occidentalisés et une majorité d’oulémas déboucha sur une constitution qui prévoyait notamment un conseil d’oulémas chargé de vérifier si les lois étaient compatibles avec la charia. Cette clause resta parfaitement virtuelle, vu que le conseil ne fut jamais convoqué ; il n’en reste pas moins que sur la question du constitutionnalisme, les oulémas se divisèrent. Une minorité le condamna résolument, estimant qu’il s’agissait d’une importation occidentale contraire à la charia. Le porte-parole le plus actif de ce groupe était Fadlāllah Nûrî, qui fut exécuté en juillet 1909[13]. La majorité par contre, dont les marāji‘ persans résidant dans les ‘atabât irakiennes, soutint à fond l’idée constitutionnaliste, la déclarant conforme à la loi islamique[14]. L’un d’entre eux, Mîrzâ Muhammad Husayn Nâ’înî (m. 1936), alla jusqu’à rédiger tout un traité sur la question[15]. Mais aucun juriste, ni parmi les partisans du constitutionnalisme ni parmi ses adversaires, ne revendiqua jamais un pouvoir politique direct pour le clergé. Pendant une grande partie du XXe siècle, et jusqu’à l’avènement de la révolution iranienne, le clergé chiite resta généralement quiétiste, y compris face à un pouvoir étatique hostile, comme ce fut le cas lors des actions anticléricales lancées par Rezâ Shâh dans les années 1920 et 1930.

 

Le cas de Hosayn Borûjerdî est à cet égard emblématique : reconnu depuis 1946 comme marja‘ al-taqlîd, non seulement il refusa catégoriquement de s’impliquer dans aucune activité contre le gouvernement pahlavi, mais encore il soutint – en une sorte de déjà vu de l’alliance conclue au XIXe siècle entre l’État et le clergé contre les Bâbîs – la persécution des Bahâ’îs[16] pendant les années 1950. À part cet épisode, il préféra maintenir un profil politique bas, et se consacrer à l’administration de la hawza de Qom (fondée en 1920 par ‘Abd al-Karîm al-Hâ’irî, tout aussi apolitique que lui) et à des tentatives discrètes (encore qu’en grande partie sans résultat) de parvenir à une réconciliation avec les sunnites. Ce n’est qu’après la mort de Borûjerdî en 1961 et face au gouvernement de plus en plus despotique du Shâh que l’on commença à percevoir un ton inédit, décidément politisé. Cette tendance est indissolublement liée à la personne de l’Âyatollâh Rûhollâh Khomeinî.

 

Dans une série de leçons tenues à Nadjaf (où il avait été exilé après avoir dirigé l’opposition contre le Shâh en 1963), et publiées par la suite, Khomeinî se concentra sur l’idée du « Mandat du Juriste » (wîlayat al-faqîh, parfois traduit aussi « tutelle du juriste »). L’expression en elle-même n’était pas nouvelle : Mullâ Ahmad Narâqî (m. 1829) avait été le premier savant chiite à revendiquer cette autorité pour les juristes, mais il l’avait fait de manière plus vague, et sans que cela ne comporte de conséquence pratique. Khomeinî, lui, avait une idée beaucoup plus précise de ce qu’il fallait entendre par le terme ambigu de wilâya qui, traditionnellement, connotait d’un côté la loyauté et l’amitié que le fidèle devait à l’imam, de l’autre, la tutelle exercée par les juristes sur les mineurs et les retardés mentaux. Pour Khomeinî, ce n’était pas suffisant : la tutelle du juriste aurait dû inclure aussi le droit du clergé chiite à exercer le pouvoir politique sur les croyants. Au début des années 1970, quand il enseignait devant ses étudiants, cette considération restait encore plutôt théorique. Mais deux éléments vinrent jouer en sa faveur par la suite : l’opposition croissante contre la tyrannie du Shâh, doublée du besoin toujours plus grand d’un leadership déterminé, et le fait que certains groupes de ce mouvement d’opposition agitaient des symboles religieux, ce qui entraina inévitablement la radicalisation de certains aspects du Chiisme. En particulier, le symbole le plus important devint l’image du martyre de l’imam Husayn à Kerbala : tant les intellectuels laïques de gauche comme ‘Alî Sharî‘atî (m. 1977), que des clercs de classe moyenne comme Ni‘matullâh Sâlehî Najafâbâdî (m. 2006) la transformèrent – contre la résistance d’une bonne partie des clercs traditionnels et de la marja‘iyya – de rituel de deuil quiétiste en un acte révolutionnaire d’héroïsme. Husayn n’apparaissait plus comme une victime passive qui s’abandonne à la volonté insondable de Dieu, mais comme un révolutionnaire en action qui se dresse contre la tyrannie des omeyyades. Les parallèles avec la situation contemporaine étaient évidents, et le slogan « chaque jour est ‘âshûrâ’, chaque tombe est Kerbala » allait devenir l’un des cris de bataille les plus célèbres de la révolution[17].

 

Quand la théorie de la wilâyat al-faqîh de Khomeinî fut incluse dans l’ordre politique iranien post-1979 – et ce ne fut absolument pas immédiat, vu que Khomeinî lui-même ne semblait pas attribuer beaucoup d’importance au processus de constitutionnalisation[18] – l’énorme pouvoir détenu par le « Guide de la Révolution », nouveau titre officiel de Khomeinî, apparut dans toute son évidence.

 

À la mort de Borûjerdî, Khomeinî n’était que l’un des si nombreux marja‘ qui devait disputer à ses pairs le soutien financier des muqallidûn. Désormais, pour la première fois dans l’histoire du Chiisme, un marja‘ ne dépendait plus des donations des fidèles, mais avait à sa disposition une sophistiquée bureaucratie officielle, la bureaucratie de l’État. De surcroît, toujours pour la première fois dans l’histoire chiite post-ghayba, un mujtahid revendiquait non seulement l’autorité sur les muqallidûn qui l’avaient choisi comme modèle, mais aussi sur les autres marâji‘. Et si Khomeinî ne parvint pas à s’imposer à la marja‘iyya irakienne, qui se trouvait hors de la sphère d’influence du pouvoir iranien, il put par contre l’emporter sur les clercs iraniens qui auraient pu défier son prestige : sa victime la plus célèbre, l’Âyatollâh Kâzem Sharî‘atmadârî (m. 1986), fut officiellement privé de ses lettres de créance et placé aux arrêts domiciliaires. Khomeinî franchit le dernier pas en 1988 en assumant le « Mandat absolu du juriste » (wilâyat al-faqîh al-mutlaqa), dont les pouvoirs avaient la primauté même sur les préceptes religieux fondamentaux comme le jeûne, le pèlerinage, et la prière[19]. Initiative qui le plaça à deux pas d’être identifié comme le mahdî, et de fait, le titre de « imam » réservé à Khomeinî laissait aisément entendre qu’il avait laissé bien loin derrière lui la position de marja‘ « ordinaire ». Quant à savoir si Khomeinî a « intégré » deux concepts de la pensée politique chiite en redéfinissant l’idée de marja‘iyya, ou si au contraire sa wilâya a éclipsé le rôle traditionnel d’un marja‘, cela dépend probablement du point de vue de l’observateur[20].

 

Reste ouverte à la discussion une autre question, plus importante, à savoir si la théorie de Khomeinî a été une rupture radicale avec la tradition chiite, ou si au contraire elle en a été le couronnement final. D’une part, aucun mujtahid chiite n’avait jamais revendiqué une telle somme de pouvoir politique direct : Khomeinî a transformé la loi traditionnelle des juristes en loi de l’État, et a misé sur la création d’une hiérarchie rigidement coercitive où le juriste suprême avait pouvoir de coercition sur les autres marâji‘. Mais il faut rappeler, d’autre part, que la position structurelle des oulémas après l’Occultation n’était guère différente de celle des imams. De ce point de vue, Khomeinî se présente plutôt comme celui qui a porté à ses conséquences logiques le processus millénaire d’autopromotion des experts en religion, portant ainsi la cléricalisation hiérarchique de la marja‘iyya à une conclusion cohérente, encore que radicale. Là encore, tout dépend de la disposition de l’observateur à interpréter ce passage des imams aux mujtahidûn, survenu à partir du Xe siècle, comme une rupture radicale entre l’inspiration divine des imams et les finasseries laborieuses de leurs épigones humains, ou plutôt comme un mouvement, continu et totalement humain, d’une forme d’exercice du pouvoir religieux à une autre.

 

 

Le problème de la succession

 

Le problème de la succession a toujours été le talon d’Achille de l’autorité religieuse chiite. À ce propos, le dilemme du IXe siècle pour trouver un imam n’est pas très différent des débats du XXe à la suite de la mort d’un marja‘. À la différence de ce qui se passait aux XIXe et XXe siècle, époque à laquelle tous étaient assez patients pour attendre simplement qu’un nouveau marja‘ émerge, reconnu à la fois par mujtahidûn et muqallidûn, il y a à présent une tendance croissante à la bureaucratisation de cet office. Après la disparition de Borûjerdî en 1961, on discuta de plusieurs approches à la charge de la marja‘iyya, non seulement en considération des conditions individuelles nécessaires pour devenir marja‘, mais aussi des modalités pour en choisir un nouveau. Quelques-unes des personnalités qui ont participé au débat (comme Mahmûd Tâleqânî) ont suggéré d’instituer un conseil d’oulémas qui aurait dû assumer collectivement les responsabilités du marja‘[21]. De tels débats se sont avérés particulièrement urgents dans l’Iran des années 1960, où la marja‘iyya devait compter avec le gouvernement – du moins nominalement – chiite. Dans les cités sanctuaires irakiennes en revanche, où les oulémas se trouvaient sous la pression croissante de gouvernements sunnites hostiles et de plus en plus tyranniques, c’est la forme « traditionnelle » de la marja‘iyya qui l’a emporté. Sous les marâji‘ Muhsin al-Hakîm (m. 1970) et surtout Abû l-Qâsim al-Khû’î (m. 1992), on a assisté à une internationalisation croissante, et les représentants des leaders religieux se sont tournés notamment vers l’Europe et vers l’Occident (par exemple sous la forme de la Fondation Kho’i à Londres) pour sauvegarder leur base sociale et économique. Il y a eu néanmoins en Irak également des tentatives occasionnelles de moderniser la marja‘iyya. La plus notable a été la proposition avancée par Muhammad Bâqir al-Sadr (m. 1980) d’une forme « objective » de marja‘iyya (al-marja‘iyya al-mawdû‘iyya), qui visait à la création d’un office composé de plusieurs conseils, lesquels auraient dû se charger des fonctions administratives et éducatives d’un marja‘. Mais en raison de la position de al-Sadr dans la hawza de Nadjaf, relégué dans l’ombre par al-Hakîm et al-Khû’î, ce plan n’alla jamais au-delà du stade théorique. Tout comme la tentative successive de l’Âyatollâh libanais Husayn Fadlallâh (m. 2010), qui dans les années 1990 a cherché à institutionnaliser la marja‘iyya d’une manière guère différente de la papauté catholique, devait tourner court[22].

 

La marja‘iyya forte et centralisée de Khomeinî s’est avérée, sur la brève durée, le modèle qui a eu le plus de succès. Toutefois, l’empreinte très profonde laissée par Khomeinî dans l’Iran postrévolutionnaire a compliqué la question de la succession. Khomeinî lui-même semble-t-il avait perçu ce problème : voilà pourquoi, peu avant sa mort, en juin 1989, il mit en route une révision de la Constitution qui, de fait, renversait littéralement les critères requis pour le juriste suprême. La qualification de marja‘iyya était abandonnée, et l’on stipulait que la capacité de pratiquer l’ijtihâd était suffisante pour devenir Guide Suprême. En l’espace d’un an seulement, la fonction de Guide passa tout d’un coup du sommet – une charge considérée comme supérieure même aux fondements de la religion – à une place à peine moyenne dans la hiérarchie chiite[23]. Mais seule cette initiative pouvait garantir la survie de la wilâyat al-faqîh. Et quand, en mars 1989, Khomeinî dégrada le successeur qu’il avait lui-même désigné, l’Âyatollâh Montazerî, il devint évident qu’aucun autre aspirant à cette charge ne serait suffisamment qualifié. ‘Alî Khâmene’î (n. 1939), qui, à la fin, alla occuper le poste de « Guide de la Révolution », ne fut officiellement promu au rang d’Âyatollâh qu’après avoir assumé sa charge. Depuis lors, la fonction de la marja‘iyya et celle de la wilâyat al-faqîh furent officiellement séparées. Ces difficultés ont été provoquées en grande partie par le fait que, même en Iran, la théorie de Khomeinî était loin de faire l’unanimité. Bien que, dès le début, des critiques explicites aient été avancées hors d’Iran[24], les savants iraniens de Qom ne pouvaient exprimer leurs réserves que de façon très contenue. Ils l’ont fait en refusant de seconder l’ambition de Khâmene’î d’être reconnu comme unique marja‘ dans les années 1990 à la suite de la mort des Âyatollâh iraniens Golpâyegânî (1993) et Arâkî (1994), et en reconnaissant par contre sept marâji‘ iraniens (Khâmeneî n’était que l’un de ces sept). Si la position internationale de Khâmene’î s’en retrouvait fortement déclassée, cela n’a pas empêché des partisans convaincus du principe de la wilâya, comme l’Âyatollâh Mesbâh Yazdî, de considérer le juriste suprême comme choisi par Dieu et, par conséquent, au-dessus de tout contrôle institutionnel humain. Sa légitimité, selon Yazdî, dérive exclusivement de Dieu, qui garantirait l’arrivée automatique au pouvoir du juriste le plus qualifié, auquel chacun doit une obéissance inconditionnelle et absolue[25].

 

Cette élévation extrême, qui inscrit le juriste chiite suprême plus ou moins au même niveau que l’imam, est toutefois une exception que ne partagent que quelques idéologues, et va bien au-delà de ce que n’importe quel marja‘ traditionnel approuverait. La forme traditionnelle de marja‘iyya survit au XXIe siècle, en particulier dans les ‘atabât irakiennes, après que ‘Alî al-Sîstânî (n. 1930) eut été généralement reconnu comme le successeur de al-Khû’î à la suite de la mort de celui-ci en 1992, et que la hawza eut résisté aux coups très lourds que lui a assénés la persécution du régime baathiste dans les années 1990.

 

Comme son prédécesseur, al-Sîstânî était lui aussi politiquement quiétiste avant que le changement de régime en 2003 ne le place sous les feux des projecteurs. Et pourtant, le fait de naviguer avec prudence entre les extrêmes et de jouer les arbitres, évitant ostensiblement toute implication directe dans la politique (bien que, en réalité, il ait été impliqué dans la rédaction de la constitution post-2003) ne lui a pas épargné les critiques. Le jeune clerc de bas rang Muqtadâ al-Sadr (n. 1973) l’a défié ouvertement, invoquant une « hawza parlante », c’est-à-dire politiquement active, et refusant le leadership de al-Sîstânî qualifié de « hawza silencieuse », incapable de prendre en charge les besoins des fidèles. La brève mais violente guerre civile qui éclata en 2004 entre les chiites irakiens aurait pu s’apaiser, mais l’intransigeance de al-Sadr fit que le conflit continue encore aujourd’hui à basse intensité[26]. En ce moment, la marja‘iyya se trouve dans une phase difficile de transformation. Mais, nous l’avons vu, ce n’est pas la première fois dans l’histoire du Chiisme. Elle est à la croisée des chemins entre une institution pré-moderne, amorphe et très informelle, dérivant d’un long processus qui remonte à l’Occultation du douzième imam, et un réseau international et globalisé géré par chaque marja‘. ‘Alî al-Sistânî, en qualité d’autorité suprême pour la plupart des croyants chiites – même si ce n’est pas l’unique – a été parfois défini comme « le dernier Marja‘ »[27]. Il pourrait fort bien se faire que, après sa disparition, tout le système de la marja‘iyya change complètement, d’autant plus que la position de « Guide de la Révolution » en Iran pourrait changer de titulaire au cours des prochaines années. Une seule chose semble assez assurée : la gestion de la religion chiite au cours de ce dernier millénaire de la part des mujtahidûn et marâji‘ a fait apparaître la figure du mahdî absolument superflue, bien que l’article 5 de la Constitution iranienne sanctionne que la wilâyat al-faqîh est en vigueur uniquement pendant l’absence du douzième imam, et bien que certains experts religieux (dont Muqtadâ al-Sadr) soient virtuellement obsédés par la figure du mahdî. Toutefois, vu leur pouvoir social et économique, il est probable que les oulémas repoussent également les idées futures d’une Parousie prématurée.

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

[1] Les deux mineurs furent le neuvième imam Muhammad al-Jawâd, et le dixième ‘Alî al-Hâdî. Pour une description générale des imams, voir Moojan Momen,  An Introduction to Shi‘i Islam. The History and Doctrines of Twelver Shi‘ism, Yale University Press, New Haven-London 1985.

[2] Plus tard, cette période aurait été appelée « l’Occultation mineur » (al-ghayba al-sughrâ), au cours de laquelle l’imam a continué à être en contact avec la communauté à travers les quatre soi-disant « délégués » (sufarâ’). Depuis lors, tout contact a été interrompu et l’imam a disparu dans « l’Occultation majeure » (al-ghayba al-kubrâ).

[3] Cf. Mohammad Ali Amir-Moezzi, Réflexions sur une évolution du shi’isme duodécimain : tradition et idéologisation, in Évelyne Patlagean et Alain de Boulluec (dir.), Les Retours aux écritures. Fondamentalismes présents et passés, Peeters, Louvain 1993, pp. 63-81.

[4] Mohammad Ali Amir-Moezzi, « Islam in Iran – x: The Roots of Political Shi’ism », Encyclopaedia Iranica 14/146-54 (en-ligne: http://www.iranicaonline.org/articles/islam-in-iran-x-the-roots-of-political-shiisms).

[5] Etan Kohlberg, Aspects of Akhbārī Thought in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, in Nehemia Levtzion et John O. Voll (dir.), Eighteenth-Century Renewal and Reform in Islam, Syracuse University Press, Syracuse 1987, pp. 133-160 (ici 135).

[6] Robert Gleave, Scripturalist Islam. The History and Doctrines of the Akhbārī Shī‘ī School, Brill, Leiden 2007, 79ss. et 101, a montré, cependant, que même les Akhbârîs ne peuvent se passer d’interpréter les paroles des imams.

[7] Sur le contexte historique et social, voir Juan Cole, Sacred Space and Holy War. The Politics, Culture and History of Shi’ite Islam, I.B. Tauris, London 2002, pp. 58-77.

[8] Abbas Amanat, In Between the Madrasa and the Marketplace: The Designation of Clerical Leadership in Modern Shi’ism, in idem, Apocalyptic Islam and Iranian Shi’ism, I.B. Tauris, London-New York 2009, pp. 149-178, 267-273.

[9] Rainer Brunner, « Shi’ite Doctrine – ii: Hierarchy in the Imamiyya », Encyclopaedia Iranica, (en-ligne: http://www.iranicaonline.org/articles/shiite-doctrine-ii-hierarchy-emamiya).

[10] Linda S. Walbridge, The Counterreformation. Becoming a Marja‘ in the Modern World, in eadem (dir.), The Most Learned of the Shi‘a. The Institution of the Marja‘ Taqlid, Oxford University Press, Oxford 2001, pp. 230-246 (spéc. 240-44).

[11] Meir Litvak, Shi‘i Scholars of Nineteenth-century Iraq. The ‘ulama’ of Najaf and Karbala’, Cambridge University Press, New York 1998.

[12] Werner Ende, Der amtsmüde Ayatollah, in Gebhard J. Selz (dir.), Festschrift für Burkhart Kienast: zu seinem 70. Geburtstage dargebracht von Freunden, Schülern und Kollegen, Ugarit, Münster 2003, pp. 51-63.

[13] Vanessa Martin, Islam and Modernism. The Iranian Revolution of 1906, Syracuse University Press, Syracuse 1989, pp. 165-200.

[14] Abdul-Hadi Hairi, Shī‘īsm and Constitutionalism in Iran. A Study of the Role Played by the Persian Residents of Iraq in Iranian Politics, Brill, Leiden 1977, pp. 87et ss.

[15] Tanbīh al-umma wa-tanzīh al-milla, Baghdad 1909, Tehran 1910 ; cf. Hairi, pp. 109-151 et passim.

[16] Les Bâbîs-Bahâ’îs sont une religion née en Perse au XIXe siècle dans le cadre du Chiisme. Le Babisme, qui précède sur le plan temporal le Bahaïsme, est né de l’une des écoles de théologie du Chiisme imamite. Ses adeptes tirent leur nom du terme arabe bâb, « porte », c’est-à-dire guide vers l’imam caché. En 1840, Sayyid ‘Alî Muhammad afferma qu’il était le Bâb de l’imam caché, et plus tard, le Mahdî (« sauveur eschatologique »), ce qui lui valut d’être fusillé par les autorités. Avant de mourir, le Bâb laissa comme vicaire Mîrzâ Yahyâ Nûrî, connu sous le nom de Subh-i Azal, mais le demi-frère de ce dernier, Mîrzâ Husayn ‘Alî Nûrî, appelé par la suite Bahâ’u ’llâh (« Splendeur de Dieu »), revendiqua la fonction de guide du mouvement. Les Bâbîs se divisèrent donc entre une minorité exigüe d’adeptes de Subh-i Azal, d’où leur nom de azalîs, et les adeptes de Bahâ’u ’llâh, connus sous le nom de bahâ’îs. Bahâ’u ’llâh mourut en 1892 près d’Acre, en Palestine, où il avait été exilé par les autorités ottomanes après s’être enfui de Perse. Il insistait dans son enseignement sur l’unité fondamentale de toutes les religions et sur le concept d’une révélation progressive et ouverte. Ses adeptes sont actuellement environ 7 millions (NdlR).

[17] Kamran Scott Aghaie, The Martyrs of Karbala. Shi‘i Symbols and Rituals in Modern Iran, University of Washington Press, Seattle 2004, pp. 87-112.

[18] Said Amir Arjomand, Shi‘ite Conceptions of Authority and Constitutional Developments in the Islamic Republic of Iran, in Rainer Brunner et Werner Ende (dir.), The Twelver Shia in Modern Times: Religious Culture & Political History, Brill, Leiden 2001, pp. 301–332 (ici 303-304).

[19] Ibid., p. 310.

[20] Linda Walbridge, The Counterreformation, p. 234; Abbas Amanat, In Between the Madrasa and the Marketplace, p. 191.

[21] Ann K.S. Lambton, A Reconsideration of the Position of the Marja‘ Al-Taqlīd and the Religious Institution, « Studia Islamica » 20 (1964), pp. 115-135 (ici 125 et s.).

[22] Sur la théorie de al-Sadr, voir Talib Aziz, The Political Theory of Muhammad Baqir Sadr, in Faleh Abdul-Jabar (dir.), Ayatollahs, Sufis and Ideologues. State, Religion and Social Movements in Iraq, Saqi books, London 2002, pp. 231-244. Sur Faḍlallâh voir Rula Jurdi Abisaab, Lebanese Shi‘ites and The Marja‘iyya: Polemic in the Late Twentieth Century, « British Journal of Middle Eastern Studies » 36 (2009), pp. 215-239 (ici 233 et s.).

[23] Said Amir Arjomand, Shiʿite Conceptions of Authority, p. 314 et ss.

[24] Mariella Ourghi, Shiite Criticism of the Welāyat-e faqīh, « Asiatische Studien » 59 (2005), pp. 831-844.

[25] Katajun Amirpur, A Doctrine in the Making? Velāyat-e faqīh in Post-Revolutionary Iran, in Gudrun Krämer et Sabine Schmidtke (dir.), Speaking for Islam. Religious Authorities in Muslim Societies, Brill, Leiden 2006, pp. 218-240 (ici 228 et ss.).

[26] Amatzia Baram, Sadr the Father, Sadr the Son, the ‘Revolution in Shi’ism,’ and the Struggle for Power in the Hawzah of Najaf, in Amatzia Baram, Achim Rohde et Ronen Zeidel (dir.), Iraq Between Occupations. Perspectives from 1920 to the Present, Palgrave MacMillan, New York 2010, pp. 143-157 (ici 146, 151 et ss.).

[27] Mehdi Khalaji, The Last Marja. Sistani and the End of Traditional Religious Authority in Shiism, The Washington Institute, Washington 2006, http://bit.ly/2tdcfiy

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Rainer Brunner, « Comment le clergé chiite est entré en politique », Oasis, année XIII, n. 25, juillet 2017, pp. 22-35.

 

Référence électronique:

Rainer Brunner, « Comment le clergé chiite est entré en politique », Oasis [En ligne], mis en ligne le 29 août 2018, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/comment-le-clerge-chiite-est-entre-en-politique.

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