Le principe fondamental de l’exégèse chiite est que l’imam est le seul interprète légitime du Texte sacré, et qu’il est élu et inspiré par Dieu à cette fin

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:25:44

Le principe fondamental de l’exégèse chiite est que l’imam est le seul interprète légitime du Texte sacré, et qu’il est élu et inspiré par Dieu à cette fin. Selon un dit attribué à ‘Alî, en effet, le Coran « ne parle pas dans une langue, il lui faut un interprète ». Ce dernier ne peut être qu’un imam infaillible, tout comme l’était le Prophète. Sans l’herméneutique de l’imam, le Livre ne signifie littéralement rien, c’est un « Coran muet ». C’est l’imam qui lui confère une intelligibilité, et c’est pour cela qu’on l’appelle « le Coran parlant ».

Dernière venue des grandes religions du Livre, l’Islam confère la plus grande sacralité à son Écrit. Dans le sunnisme, la sacralisation du Coran a souvent conduit à fermer les portes de la critique historique comme de l’herméneutique spirituelle. Ce n’est pas le cas en Islam chiite, qui ne se définit pas seulement comme une religion du Livre, mais aussi, et dès son origine, comme une religion de l’interprétation du Livre. Une définition qui vaut pour ses deux principales formes historiques, l’imamisme duodécimain – aux douze imams – et l’ismaélisme.

 

Aspect extérieur et contenu ésotérique

Dans la vision chiite du monde, toute chose possède un aspect extérieur, manifeste ou exotérique (zâhir), et un contenu intérieur, caché ou ésotérique (bâtin). L’assertion est d’abord vraie de Dieu lui-même d’après le verset du Coran 57,3 : « Il est le Manifeste et Il est le Caché ». Elle est vraie, par conséquent, des révélations divines dispensées au cours de l’histoire. Parce que la lettre d’un Écrit saint recèle toujours un sens caché qui en est l’esprit, la venue d’un prophète avec une révélation littérale (tanzîl) ne peut se passer d’une suite d’imams ayant la tâche d’en produire l’exégèse spirituelle (ta’wîl). Selon la conception chiite de l’histoire sainte, tout comme Moïse eut pour premier imam Aaron et Jésus l’apôtre Simon, le prophète Muhammad eut pour premier imam son jeune cousin ‘Alî b. Abî Tâlib, époux de sa fille Fâtima et père de sa seule descendance mâle. Et si la prophétie est close avec Muhammad, s’ouvre avec ‘Alî le dernier cycle de l’alliance divine (walâya) des imâms. La prophétologie chiite est indissociable d’une imamologie et celle-ci, d’une herméneutique du Livre.

Le terme ta’wîl est dérivé de la racine AWL dénotant l’idée du retour. Nom d’action du verbe factitif awwala, il signifie l’acte de ramener quelque chose à son origine, et par extension, l’interprétation d’un signe. Le Coran l’emploie pour l’interprétation de songes (12,6 et 21 à propos de Joseph), d’actions heurtant le sens moral commun (18,78 et 82 à propos de Moïse), mais aussi de ses propres signes ou versets (âyât) :

C’est [Dieu] qui a fait descendre sur toi le Livre. On y trouve des versets clairs – la Mère du Livre – et d’autres ambigus. Ceux dont les cœurs penchent vers l’erreur s’attachent à l’ambigu car ils recherchent la discorde et sont avides de déchiffrer l’ambigu. Mais nul n’a la science de son déchiffrement sinon Dieu et ceux qui sont enracinés dans la science. Ils disent : « Nous y croyons : tout vient de notre Seigneur ! » Mais ne méditent que ceux qui ont l’intelligence du cœur » (3,7).

À la différence des commentateurs sunnites, les chiites lisent ce verset en marquant une pause après « ceux qui sont enracinés dans la science » et non après « Dieu », ce qui confère à certains hommes l’aptitude à interpréter ou « déchiffrer » le Livre. D’après plusieurs hadîths des imams, « ceux qui sont enracinés dans la science » ne sont autres que Muhammad, ‘Alî et les imams de sa descendance, qui connaissent tout le ta’wîl du Livre. Quant au terme de tafsîr, synonyme de ta’wîl au cours des premiers siècles de l’Islam, il est venu à désigner plus tard un commentaire externe du Coran, linguistique ou historique, pouvant être effectué par tout savant, tandis que le ta’wîl désigne en propre un commentaire ésotérique ne pouvant être l’œuvre que d’un homme « enraciné dans la science ». La distinction restera toutefois nominale en milieu chiite, où de nombreux tafsîrs du Coran sont bien en fait des commentaires ésotériques.

Cette position herméneutique du chiisme a bien sûr son histoire, qui elle-même a son aspect extérieur et sa dimension intérieure. Du vivant du prophète Muhammad, un groupe de musulmans tenait ‘Alî pour son seul successeur légitime à la tête de la communauté, le premier récipiendaire de la révélation, voire le Messie annoncé par celle-ci. Selon un hadîth également donné par des sources sunnites, le Prophète aurait déclaré peu avant sa mort :

Je vous lègue deux objets précieux ; si vous en prenez soin, vous ne vous égarerez pas après moi : le Livre de Dieu et les gens de ma famille[1].

Pour les chiites, ‘Alî était au point d’intersection de ces deux objets précieux : le Coran, qu’il était le seul après Muhammad à connaître dans son intégralité, et la famille du Prophète, dont il était le second père. Mais ces deux objets précieux auraient été également maltraités et profanés par les ennemis du Vrai.

D’après les sources chiites les plus anciennes, et contradictoirement avec les sources sunnites, l’établissement d’un texte unique de la révélation après la mort du Prophète fut tout sauf consensuel : ‘Alî aurait été non seulement écarté du pouvoir par un complot, mais aussi empêché de produire le Coran qu’il avait rassemblé. Des récits font état d’un texte bien plus volumineux que la Vulgate dite de ‘Uthmân que nous connaissons ; d’autres évoquent des censures et des ajouts dans le Coran officiel ; des traditions duodécimaines suggèrent que le Coran de ‘Alî se transmit d’imam en imam jusqu’au douzième, l’imam caché, qui le conserve et reviendra le manifester à la fin des temps.

Ces thèses furent progressivement abandonnées, sous les persécutions, au profit d’une position ésotérique : ce que possèdent ‘Alî et les imams n’est pas le Coran authentique dont la Vulgate serait une version censurée et altérée, mais l’exégèse spirituelle du Coran officiel qui est la révélation littérale. Reste que cette exégèse est consubstantielle à la lettre du Livre, si bien que le Coran véritable réside dans la somme de son tanzîl et de son ta’wîl. On rapporte ainsi que ‘Alî, devenu calife, se résigna à combattre d’autres musulmans en se référant à cette parole que lui aurait adressée le Prophète : « Tu combattras pour l’interprétation du Coran comme j’ai combattu pour sa révélation »[2]. Selon une autre tradition, Ibn ‘Abbâs, cousin du Prophète et compagnon de ‘Alî, aurait eu une vive discussion au sujet du Coran avec Mu‘âwiya, ennemi juré de ‘Alî et fondateur de la dynastie omeyyade, qui avait interdit d’évoquer publiquement les vertus de ‘Alî et des gens de la famille du Prophète. Ibn ‘Abbâs lui demanda s’il voulait leur interdire de lire le Coran et Mu‘âwiya répondit que non. Ibn ‘Abbâs lui demanda s’il voulait leur interdire d’interpréter le Coran et Mu‘âwiya répondit que oui. Ibn ‘Abbâs demanda alors comment on pouvait lire le Coran sans chercher à connaître l’intention de Dieu et la mettre en pratique[3]. D’après ce hadîth et bien d’autres, le sens caché de la révélation concerne ‘Alî et les descendants du Prophète, et ce sens est si essentiel à sa lettre qu’une lecture littéraliste se refusant à le chercher équivaut à une censure du Coran[4].

 

Les divisions après la bataille de Kerbala

La sainte famille du Prophète connut un sort aussi tragique que le Livre de Dieu, qui toucha son paroxysme quand le petit-fils chéri de Muhammad, al-Husayn, le troisième imam des chiites après son père ‘Alî et son frère aîné Hasan, fut tué par l’armée des Omeyyades à Kerbala en 65/680. Après lui, le chiisme se divisa en de nombreuses branches dont la plupart n’ont pas survécu à la répression étatique. Dans la lignée d’imams qui donna naissance au chiisme duodécimain, le renoncement à l’activité politique alla de pair avec l’intensification de l’enseignement spirituel et de l’herméneutique. Gardons-nous d’une interprétation fonctionnaliste, commode mais réductrice, qui ne verrait dans l’herméneutique chiite qu’un substitut à des revendications historiques ou une consolation de la défaite politique. Voyons plutôt dans l’histoire tragique des imams l’aspect exotérique dont leur mission herméneutique est le sens caché.

Les deux principes fondamentaux de l’exégèse chiite sont que le Coran a besoin d’une interprétation et que l’imam est son seul interprète légitime, élu et inspiré par Dieu à cette fin. D’après une parole attribuée à l’imâm ‘Alî, « ce Coran n’est qu’une écriture couchée entre deux battants [de couverture], il ne parle pas [de lui-même] dans une langue, il lui faut un interprète »[5]. Celui-ci ne peut être qu’un imam infaillible (ma‘sûm) au même titre que le Prophète. Sans l’herméneutique de l’imam, le Livre ne veut littéralement rien dire, est un « Coran muet ». C’est l’imam qui lui donne son intelligibilité, ce pourquoi il est appelé « le Coran parlant ». Les imams successifs du chiisme duodécimain ont assumé cette mission herméneutique. Le sixième, Ja‘far al-Sâdiq, serait l’auteur du premier commentaire mystique du Coran, et le onzième se vit aussi attribuer un tafsîr. Surtout, le Hadîth des imams, monumental corpus rassemblé dès leur vivant et sous leur contrôle, contient toute une exégèse de l’Écrit saint. Quant aux premiers tafsîrs produits par des savants imamites comme al-Qummî (m. 307/919) ou al-‘Ayyâshî (m. 320/932), ils sont uniquement composés de hadîths des imams et ne contiennent aucune opinion personnelle.

Selon l’exégèse chiite ancienne, l’imam n’est pas seulement l’herméneute et le « Coran parlant » : son alliance divine, sa walâya, est elle-même le sens caché auquel reconduit le ta’wîl, ce dont parle le Coran, l’alpha et l’oméga du Livre. C’est ce qu’illustre l’interprétation chiite de la première sourate, la Fâtiha, récitée par tout musulman dans la prière. Un hadîth attribué à ‘Alî affirme : « Je suis le point sous le bâ’ de bi-smi-llâh » (au nom de Dieu), formule qui ouvre la sourate. Dans le verset 6 : « Guide-nous sur la voie droite », cette « voie droite » est identifiée à l’imam dont la connaissance mène à celle de Dieu et au salut dans la vie dernière. Quant aux deux groupes dont l’orant se dissocie dans le verset 7, « les réprouvés » et « les égarés », que l’exégèse sunnite identifie généralement aux juifs et aux chrétiens, ils désignent plutôt, dans les traditions chiites, ceux qui, parmi les musulmans, agissent comme les juifs et les chrétiens, les premiers en refusant la sainteté de ‘Alî comme les juifs refusèrent celle du Christ, et ce sont les sunnites, les seconds en surenchérissant la sainteté de ‘Alî comme les chrétiens l’ont fait avec celle de Jésus, et ce sont les « exagérateurs » chiites (ghulât)[6]. De même, les versets relatifs au djihad sont interprétés en un sens transhistorique pour annoncer le combat eschatologique du dernier imam, le Mahdî. Il aura pour fin de « couvrir la terre de justice et d’équité comme elle l’était auparavant d’injustice et d’iniquité », et de restaurer les Écritures de Dieu, nommément la Torah, l’Évangile et le Coran[7]. Comme celui de ‘Alî lors de son califat, ce sera un combat pour l’herméneutique, mais cette fois assuré de son triomphe, réalisant la fin de l’Histoire.

De nombreux commentaires chiites semblent se borner à identifier les personnes historiques visées positivement – les imams – ou négativement – leurs ennemis – par les versets ambigus du Coran, ce qui peut apparaître comme une manière de combler les vides laissés par la censure. La personne sacro-sainte de l’imam ‘Alî est le plus souvent au centre de cette exégèse « personnalisée ». Cette interprétation peut paraître trop exclusive pour être spirituelle, mais il ne faut pas s’y tromper. Le sens caché que les chiites trouvent au Coran dans le nom de l’imam, point central d’où commence, où finit et autour duquel tourne toute la révélation, a lui-même un sens intérieur proprement religieux, métaphysique et transhistorique : la nécessité de l’Homme divin, l’idée que Dieu, parce qu’Il est le Manifeste et pas seulement le Caché, ne saurait se passer de manifestation humaine, et que l’homme ne saurait aimer un Dieu qui ne se manifeste pas dans le monde, ni atteindre son salut sans un guide divin.

 

Le sens symbolique des écritures

La tradition chiite ismaélienne, séparée du tronc commun de l’imamisme après Ja‘far al-Sâdiq, entretient un rapport au Coran plus distancié que la tradition duodécimaine. Les ismaéliens n’ont pas soutenu la thèse de la falsification du Coran et se sont mêmes désintéressés des conditions historiques de la révélation. Alors que chez les duodécimains, l’autorité exclusive de l’imam en matière de ta’wîl a longtemps prévalu, chez les ismaéliens, qui connaissent une succession presque ininterrompue d’imams jusqu’à l’époque contemporaine, les philosophes-prédicateurs (du’ât), sous l’autorité de l’imâm, ont tôt pratiqué une herméneutique du Coran en exerçant leur puissance de réflexion personnelle. Pourtant, à la différence des duodécimains, les penseurs ismaéliens ont produit peu de commentaires suivis du texte coranique, préférant concentrer leurs efforts sur des versets particuliers dont l’interprétation est intégrée à des ouvrages théologiques et philosophiques.

La pensée ismaélienne s’est tôt imprégnée de la doctrine néoplatonicienne en identifiant l’Un au-delà de l’Être, tel que défini par Plotin, au Dieu Créateur du Coran. Elle soutient, suivant un schème hérité de l’allégorie de la caverne de Platon (La République, livre VII), que les révélations divines dispensées dans le temps portent, non sur des personnes physiques et des événements temporels, mais sur des réalités spirituelles et atemporelles que les prophètes ont pour mission de traduire en signes sensibles pour les faire connaître aux hommes. Dès lors, pour les ismaéliens, tous les livres révélés (la Torah, l’Évangile, le Coran), possèdent un sens essentiellement symbolique ; leur lettre n’est qu’une simple enveloppe, extérieure et sensible, dissimulant leur signification intelligible. C’est d’abord le cas des versets coraniques portant sur les deux extrémités de l’arc chronologique de l’histoire sainte. L’histoire d’Adam et Ève, l’arbre du Bien et du Mal, comme les délices promis au Paradis et les tourments de l’Enfer, sont des allégories appelant un dévoilement philosophique. Les Frères de la pureté (Ikhwân al-safâ), au IVe/Xe siècle, interprétaient les figures d’Adam et du serpent comme les métaphores de l’âme intellective et de l’âme charnelle[8]. Nasîr al-Dîn Tûsî (m. 672/1274) voyait dans le premier paradis, celui d’Adam (2,35), « la première inexistence », et dans le Paradis final des vrais monothéistes (89,28-30), « la seconde inexistence qui est l’extinction (fanâ’) dans l’unicité de Dieu »[9]. Les versets à caractère législatif et cultuel, ceux qui composent la charia, possèdent également un sens ésotérique, sans lequel les obligations et les interdictions ne sont qu’absurdité[10]. Cela ne signifie pas que l’on puisse passer outre les prescriptions de la Loi une fois atteint son sens caché – ce qui ne se peut faire que par des philosophes accomplis –, mais qu’une action de culte n’est réellement agréée de Dieu que si elle est accompagnée de la claire connaissance de l’intention divine qui la commande. Aussi le Coran appelle-t-il, dans ses versets juridiques comme dans son discours théologique et eschatologique, une exégèse spirituelle ou un ta’wîl.

Dans le chiisme duodécimain, nous l’avons vu, l’interprétation du Coran est la première prérogative de l’imam et, à la différence de l’autorité politique, ne fut jamais abandonnée par les successeurs de ‘Alî. Aussi l’occultation du douzième imam en 260/874 laissa-t-elle un vide insupportable sur le plan théologique, celui de l’imamat comme présence de la révélation. Tant que l’imam était présent, le Coran était parlant, le Coran était vivant. À partir de la disparition de l’imam, comment empêcher le Coran de dégénérer en une lettre morte ? Après l’occultation, tandis que les juristes rationalistes travaillaient à accaparer les prérogatives sociales de l’imam, des philosophes et mystiques chiites prirent à leur charge sa mission herméneutique. L’exégèse philosophique du Coran passa de l’ismaélisme à l’imamisme duodécimain avec Nasîr al-Dîn Tûsî au moment de la conquête mongole. Elle éclata avec Haydar Âmolî (VIIIe/XIVe siècle), qui agrégea à la théologie et à l’imamologie chiites la théosophie et la doctrine de la sainteté du penseur mystique Ibn ‘Arabî (m. 638/1240), mettant en correspondance le livre du Coran avec le grand livre du monde. Après lui, les philosophes interprétèrent le Coran ou le Hadîth des imams en conjuguant les puissances de la raison et de l’intuition mystique. Selon un hadîth du huitième imam, l’enseignement de ses pères possède, comme le Coran, des paroles claires (muhkamât) et d’autres ambiguës (mutashâbihât)[11]. Dès lors, le philosophe devient l’herméneute de l’herméneute et le vrai représentant de l’imam. Et alors que les juristes-théologiens s’emploient à abroger l’enseignement ésotérique des imams pour mieux séculariser la religion à leur profit, les philosophes deviennent à leur tour des « combattants du ta’wîl », luttant pour conserver la dimension intérieure et spirituelle, non seulement du Coran, mais du chiisme lui-même comme religion herméneutique[12].

Dans l’herméneutique philosophique chiite, plus que jamais vivace à l’époque moderne, on trouve une tension féconde entre l’imamocentrisme originel et le monisme de « l’unicité de l’existence » inspiré d’Ibn ‘Arabî. Chez Mîr Dâmâd et Mollâ Sadrâ (XIe/XVIIe siècle), l’idéal de l’Homme parfait ou du Sage tend aussi à se substituer à la figure concrète de l’imam ‘Alî ou de ses descendants, dont les paroles n’en sont pas moins citées avec la même autorité que les versets du Coran. Au sujet du verset 33,72 : « Oui, Nous avions proposé le dépôt de la foi aux cieux, à la terre et aux montagnes. Ils ont refusé de s’en charger, ils en ont été effrayés. L’homme, lui, s’en est chargé, injuste et ignorant qu’il est », Mîr Dâmâd écrit que ce Dépôt est la connaissance de l’incognoscibilité de l’Essence divine, une docta ignorantia échéant au véritable philosophe[13]. Au sujet du verset 51,56 : « Je n’ai créé les djinns et les hommes qu’afin qu’ils obéissent », Mollâ Sadrâ écrit : « C’est-à-dire afin qu’ils connaissent », et ajoute que « l’homme qui est le sage est le but final de l’existenciation des sphères, des éléments et des réalités composées »[14]. C’est ainsi que la religion des imams, en l’absence physique de ceux-ci, conserve sa vocation herméneutique en donnant à son exégèse une portée universelle.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

[1] Muhammad Bâqir al-Majlisî, Bihâr al-anwâr, Mu’assasat al-wafâ, Bayrût 1403/1983, XXIII, p. 108. On trouve ce hadîth dans les Sahîhs de Muslim et d’Ibn Hanbal.

[2] Haydar Âmolî, al-Muhît al-a‘zam, cité dans Silsilat al-mukhtârât min nusûs al-tafsîr al-mustanbit, Hekmat, Téhéran 1388 h.s./2009-10, II, p. 195.

[3] Kitâb Sulaym b. Qays, Mu’assasat al-A‘lamî li-l-matbû‘ât, Beyrouth, s.d., pp. 202-203.

[4] Sur ces thèses, voir Mohammad Ali Amir-Moezzi, Le Coran silencieux et le Coran parlant, CNRS éditions, Paris 2011.

[5] Nahj al-Balâgha, éd. H. al-A‘lamî, Mu’assasat al-A‘lamî li-l-matbû‘ât, Bayrût 1413/1993, p. 270.

[6] Rajab al-Bursî, al-Durr al-thamîn, éd. ‘A. ‘Âshûr, Mu’assasat al-A‘lamî li-l-matbû‘ât, Bayrût 1424/2003, pp. 22-30.

[7] Ibn Abî Zaynab al-Nu‘mânî, Kitâb al-Ghayba, éd. M. J. Ghaffârî, Dâr al-kutub al-islâmiyya, Téhéran 1390 h.s./2011-12, bâb 13, h. 26, pp. 334-335.

[8] Voir notre traduction dans Martino Diez, Le jihad expliqué par les musulmans , « Oasis » 20 (2014), p. 83.

[9] Jalal Badakhchani, Shi’i Interpretations of Islam, I.B. Tauris, London 2010, p. 41 du texte persan.

[10] Daniel De Smet, La philosophie ismaélienne, Le Cerf, Paris 2012, p. 24.

[11] Muhsin Fayd Kâshânî, Tafsîr al-Ṣâfî, éd. M. Emâmiyân, Dhawî l-qurbâ, Qumm 1388 h.s./2009-10, vol. I, p. 230.

[12] Muhammad Ali Amir-Moezzi, La religion discrète, Vrin, Paris 2006, pp. 231-251.

[13] Tafsîr âyat al-amâna, dans Mosannafât-e Mîr Dâmâd, éd. ‘A. Nûrânî, Anjoman-e âthâr va mafâkher-e farhangî, Téhéran 1381 h.s./2003, I, p.543.

[14] Mullâ Sadrâ Shîrâzî, Le Verset de la Lumière. Commentaire, trad. Christian Jambet, Les Belles Lettres, Paris 2009, pp. 67-68.

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Mathieu Terrier, « Les imams qui font parler le Livre », Oasis, année XII, n. 23, juillet 2016, pp. 33-40.

 

Référence électronique:

Mathieu Terrier, « Les imams qui font parler le Livre », Oasis [En ligne], mis en ligne le 1 août 2016, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/les-imams-qui-font-parler-le-livre.

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